Recherche sur l'embryon : deux points de vue
La recherche scientifique
sur les embryons est légitime
Jamais l'Eglise catholique n'a caché qu'elle entendait
" peser sur les débats " relatifs à la révision de la loi de
bioéthique de 2004, en ce qui concerne les
recherches sur l'embryon plus particulièrement.
La tribune de l'archevêque de Rennes, Pierre
d'Ornellas (Le Monde du 7 avril) et celle de
Jérôme Beau directeur du Collège des Bernardins
(avec Brice de Malherbe), parue le 8 avril
surLemonde.fr, sont des expressions de cet
engagement.
Avec la diffusion de l'imagerie médicale et
de films montrant le développement de l'enfant
conçu depuis l'embryon jusqu'à la naissance,
une certaine sensibilité au sort des entités
anténatales s'est répandue, même parmi les
défenseurs les plus radicaux du droit d'avorter.
La connaissance de faits concernant la continuité
biologique entre l'embryon et l'enfant né a
renforcé, chez certains, la conviction qu'il fallait
traiter les deux avec le même respect.
La notion de " personne potentielle " a été mise
en avant pour justifier l'idée que le droit
d'avorter n'impliquait pas que l'embryon puisse
être traité comme un objet qu'on peut utiliser à sa guise.
Pourtant, aucun de ces changements
importants des connaissances, de la sensibilité
et même de l'ontologie (avec l'apparition des
" personnes potentielles ") n'a réussi à donner
un statut moral clair à l'embryon.
Les attributions de personnalité aux entités
prénatales, comme on peut les appeler,
ont des conséquences que personne n'est prêt
à accepter. Ainsi, l'idée qu'un embryon pourrait
subir le même genre de préjudice qu'un enfant
déjà né aurait l'implication peu attrayante que la
destruction intentionnelle d'une éprouvette
contenant un embryon devrait être considérée
comme un meurtre ou, pire encore, comme
un meurtre commis sur un mineur.
Qui serait prêt à endosser ce genre de conclusion ?
En réalité, le passage de la connaissance
des faits scientifiques aux décisions morales a
toujours posé un problème logique. A partir des
mêmes faits concernant l'embryon, on peut lui
accorder des statuts juridiques et moraux
complètement différents (de la non-personne
à la personne, en passant par la " personne
potentielle ").
Quant à l'argument de la dignité humaine,
il est ambigu. Il permet de justifier des positions
morales opposées. Au nom de la dignité de
la personne humaine, on peut justifier à la fois
l'interdiction absolue de l'euthanasie (nous n'avons
pas le droit de " disposer de notre humanité ", toutes
les vies sont " dignes d'être vécues ", etc.) et sa liberté
complète (nous avons le " droit de mourir dans la dignité ").
L'ambiguïté de l'argument
On peut soutenir à la fois la criminalisation
de tout commerce du corps et la liberté de faire
ce qu'on veut de son propre corps, y compris
contre de l'argent. Dans le débat public sur la
gestation pour autrui, l'ambiguïté de l'argument
de la dignité humaine est flagrante. Est-il plus
conforme à la dignité de la personne humaine de
laisser aux femmes la liberté de se servir de leurs
capacités procréatives comme elles l'entendent
ou de leur interdire de le faire par la loi ?
L'argument de la dignité humaine ne le dit pas.
De la même façon, l'argument de la dignité
humaine peut, certes, servir à justifier l'interdit
sur la recherche et l'utilisation de l'embryon.
Mais on peut aussi, à partir de ce même argument,
justifier la liberté de la recherche scientifique
qui est l'honneur de l'esprit humain, surtout lorsque
son but principal est de diminuer la quantité de
souffrances dues aux maladies. Il n'est pas
difficile de comprendre pourquoi même les
représentants des grandes religions font appel
aux deux arguments de l'état des
connaissances scientifiques et de la dignité humaine.
Ce sont des arguments neutres, qui ne
sont pas spécialement religieux. Mais ils ne
suffisent certainement pas à fonder une position
claire et incontestable dans le débat bioéthique.
Ruwen Ogien
Philosophe et directeur
de recherche au CNRS