P. Edouard-Marie Gallez

______Entre les deux parties de l’ancien Empire romain – celle de la latinité qui s’est transformée en royaumes divers et en un Empire germanique d’une part, et celle qui a subsisté à Constantinople sous une forme exclusivement grecque –, des incompréhensions surtout politiques se sont accumulées au long des siècles, mais l’unité s’était préservée et les chrétiens n’avaient pas l’idée d’être séparés en deux blocs, même après 1054.

______Il faut rappeler ici que l’excommunication réciproque, entre le légat du Pape et le Patriarche de Constantinople, n’avait aucune valeur : ce dernier n’avait aucune autorité pour agir comme un Pape et ce dernier étant mort entretemps, son légat – qui agissait de son propre chef – ne détenait plus aucun mandat. C’est bien davantage le sac de Constantinople qui a dressé les esprits bornés et une partie du peuple de la ville contre les Latins.

______Notons aussi que les Byzantins n’ont jamais été commodes avec les chrétiens coptes, araméens ou arméniens – sans parler des communautés judéochrétiennes anciennes –, et que tous ces derniers avaient pris des distances vis-à-vis de la capitale d’un Empire qui se disait toujours « romain » mais qui cessait de plus en plus de l’être.

______La véritable séparation sera la suite de la prise de Constantinople en 1453par les Turcs, qui massacrèrent une partie de la population ou l’emmenèrent en esclavage. La résistance avait été héroïque et, si l’expédition vénitienne n’avait pas volontairement traîné en route, le Sultan Mehmet II aurait échoué. Après avoir assouvi tous ses vices (faire torturer des gens devant lui, coucher avec des garçons rescapés du massacre, etc.), ce « grand Sultan » installa à la tête de l’Eglise grecque un Patriarche, qu’il fit reconnaître par une assemblée convoquée par la terreur, et alors que le véritable Patriarche vivait encore.

image008______« Sois patriarche œcuménique pour les temps à venir », dit-il au moine Scholarios : celui-ci avait participé au concile de Florence, en 1439, où il avait appelé les Orthodoxes à embrasser l’Union des Églises. Mais, quelque temps après son retour à Constantinople, il s’était retourné et avait prétendu que le conflit entre les deux Églises était si grave que le Christ ne voulait pas de l’unité des Chrétiens, c’est-à-dire de la seule chose qui pouvait sauver Constantinople de l’invasion turque.

______Mais ce n’est pas d’abord dans ce but que l’héroïque Empereur Jean VIII s’était rendu à Rome et avait signé une union de foi. Son acte était celui d’un croyant : s’il y en avait eu, les pressions de l’Occident auraient été plutôt en sens inverse. Car le pape était en position de faiblesse extrême. Des armées italiennes lui faisaient la guerre sur le terrain, et la République avait été proclamée à Rome. Il était un réfugié à Florence, et les riches marchands italiens le méprisaient. En même temps, le roi de France menait contre lui une guerre théologique à travers le concile permanent de Bâle. Le but de cette guerre était la destruction définitive du pouvoir papal.

______Les intérêts militaires et financiers de l’empereur Jean VIII auraient voulu qu’il abandonne le pape et aille à Bâle, en vue de s’entendre avec ce pseudo-concile, afin de plaire au roi de France et d’obtenir son aide militaire. En refusant de se prostituer, il a sauvé l’Église d’un nouveau schisme d’Occident et relevé, pour toujours, le prestige du Pape en Occident. Cet acte d’héroïsme prouve que le concile de Florence était totalement libre et désintéressé.

______Les motivations de Scholarios, qui s’opposa à Jean VIII, étaient tout autres : devenir patriarche. Il accepta sans hésiter la place que lui offrait le sultan, ainsi que ses cadeaux de prix, et l’exemption des taxes imposées aux autres Chrétiens. Le sultan réunit un synode pour « l’élire », et il lui donna solennellement la crosse, le manteau de patriarche et le pouvoir d’ethnarque (gouverneur) !

 “Mahomet II, écrit son chroniqueur turc, le fit patriarche et grand-prêtre des Chrétiens, et lui donna, entre autres droits et privilèges, celui de gouverner l’Église, avec tout son pouvoir et autorité.” 

______Puis, alors que sa Basilique Ste Sophie était profané et transformée en mosquée, « l’anti-patriarche » Scholarios aida les Turcs à imposer aux chrétiens grecs le mythe d’un schisme légal. Cette même politique turque ne cessa, en Orient, d’essayer de monter vles communautés chrétiennes les unes contre les autres.

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______Cette histoire trop méconnue est remarquablement relatée dans ce livre : image010

Lina Murr-Nehmé (Mahomet II impose le schisme orthodoxeFrancois-Xavier De Guibert-Œil, 2003 – 2e éd., 2009), qui écrit :

“En tant que Grecque Orthodoxe vivant à Beyrouth, je suis, au contraire, fière de mon métropolite, Elias Aoudé, et de mon patriarche, Aghnatios Hazim, qui a démenti Scholarios en déclarant en 1983 dans la cathédrale Notre-Dame de Paris : “Le différend entre Orthodoxes et Catholiques n’est pas dogmatique… Nous sommes capables de nous unir avec Rome parce que nous sommes fidèles avec entêtement à nos racines”.

Si, à ce moment fatidique, le haut clergé de Constantinople avait eu des hommes comme eux, ils se seraient dressés contre le sultan, ils n’auraient pas fui ou accepté d’être ses instruments quand il asservissait leurs fidèles et transformait leurs églises en mosquées. Alors il aurait été obligé de les tuer ou de laisser leur Église tranquille. Dans les deux cas, il n’aurait pu imposer un mensonge aussi éhonté aux Orthodoxes du monde entier.”


[1] Voir bulletin de la paroisse orientale de Lyon… [Ndel’E :] dont le n° 21 évoque comment le schisme orthodoxe fut imposé en fait par pouvoir turc après 1453, dans la terreur et les massacres (voir après l’article). En fait, l’Union ne fut jamais imposée ni par la force, ni par des vues politiques, mais bien le contraire. Un fanatisme mêlé de politique s’est parfois exprimé au Mont Athos, venant certes d’une minorité, mais influente : ce sont des moines fanatiques qui ont dressé la populace de Constantinople contre l’Empereur et le clergé revenant du Concile de Lyon (1274), les obligeant à renier l’expression de lunion qu’ils avaient proclamée avec le reste de la chrétienté.

[2] Entre 1998 et 2002, quatre prêtres catholiques bulgares victimes du régime communiste furent béatifiés par l’Eglise catholique.