Saint Jean de Saint Denis
Nous abordons ici un grand problème. Un moine du mont Athos me disait que le christianisme ne connait pas la morale (il parlait au sens juridique). Il la connait sur le plan de la société dont il est bon de tenir compte, mais pas sur le plan intérieur spirituel ; il ne s'agit pas d'un «quelque chose» dont nous sommes punis parce que nous n'avons pas accompli un ordre reçu.
La morale chrétienne est évangélique, elle soigne la sante de l’âme, du corps et de l'esprit. C'est la raison pour laquelle le prêtre, après la confession, donne ce qu’on appelle l'épitimie : c’est un genre de régime qui a un peu disparu actuellement. Lorsque vous avez le diabète, on vous défend le sucre, n'est-ce pas ? De même existent des régimes spirituels, visant a ce que l'âme reconnaisse sa maladie révolte contre Dieu, agacement vis-à-vis du prochain) (pensées impures, et recouvre la sante.
L'Eglise ordonne un régime varié, parfois un genre d'abstinence : «tu ne communieras pas durant six mois ou un an, et pendant ce temps tu suivras un régime, afin de revenir a la communion guéri de ta plaie interne». Tel devrait être le climat. Mais alors commence la difficulté, car dans la mentalité de nos contemporains, le péché sous toutes ses formes n'est plus envisagé comme une maladie.
Certes, la majorité aura honte de certaines fautes, mais elle sera plus inquiète, en général, de ses états d’âme - tristesse, servitude, incapacité de prier - que du péché en soi. Et voici le décalage !
On entretient le prêtre de ses émotions, de sa mélancolie, de ses faiblesses : il y a pourtant la réalité du péché ! Une femme me raconta un jour qu'elle était «un peu ennuyée» parce qu'elle recevait chez elle un homme, qu'elle allait chez lui et... Elle parlait de cela comme de fumer une cigarette ; en vérité, elle désirait surtout étaler son âme : «je suis triste, je suis seule, je ne sais pas prier».
Mes amis, nous touchons un autre point : nous nous faisons des illusions, notre corps, notre âme ne nous appartiennent pas. Ils nous ont été confies par Dieu : notre corps est le temple du Saint-Esprit, annonce l'apôtre Paul (1 co 3, 16). Dieu nous les a donnes en gage. Soyons donc attentifs a notre être humain. Il est a Dieu. S'imaginer que ce que l'on fait n’a point d'importance lorsqu'on n'en souffre point, c'est penser que le corps, l'âme et la vie sont nôtres. Alors, si mon corps est ma totale propriété, si je suis l'unique chef, le centre de gravite de mon destin, pourquoi ne ferais-je pas ce qu'il me plait, puisque je serai malheureux si je fais ce qui me déplait? Ce n'est donc plus la confession des péchés. Ainsi, la femme que je vous ai citée transformait l'affectif en problème et c'est cet affectif qui était blessé. Par contre, réaliser que le corps et la vie sont un don de Dieu, qu'ils sont a Dieu, nous conduit a une beauté que vous ne pouvez pas soupçonner. Vous appartenir a vous-même vous rendra toujours avide de divers plaisirs ; mais savoir que vous n'êtes pas votre propre propriété fera de vous un être tourné vers celui qui est maitre. Le commandement et le désir de Dieu deviendront authentiques. Il ne faut pas demander : «pourquoi cela m'arrive-t-il ?» mais : «est-ce la volonté divine ? Dieu le veut-il ?» les maladies morales et spirituelles s'éclaircissent dans ce contexte : j'ai remarque que le grand obstacle dans la direction spirituelle et la confession est de faire du «moi», et non du prochain, le centre. «moi, je ressens» ; «moi, je suis heureux» ; «moi, je suis malheureux, bien traité, mal traité» : tout se passe en dialogue, je suis le centre de l'univers, tandis que si Dieu devient le centre de gravite, la perspective change extraordinairement. Mon droit n'est plus mon droit.
Admettons qu'un esclave ait un maitre qui lui accorde des journées, des dimanches ou des soirées libres : ces moments toutefois ne lui appartiennent pas, ils sont a son maitre. Bien entendu, il n'est pas question d'esclavage avec Dieu ; il nous donne - nous retire - notre corps, notre âme et notre destin; mais si ce théocentrisme prend la place de l'égocentrisme, la vision de nous-même sera transfigurée, la confession deviendra réelle.
Un autre élément, assez redoutable, se dresse pour le confessant : c'est celui du jugement dernier ; la totalité de nos pensées sera découverte. Nous réaliserons soudain que ce qui est voilé, camouflé en nous, est mis a jour ; ce n'est nullement aussi effrayant qu'on peut le craindre, si nous sommes humbles ; mais sommes-nous assez humbles ? Tout être renferme en lui des recoins fort désagréables, difficiles a dévoiler, n'est-ce pas ? Pourtant, tel est le mystère du second avènement : l'invisible sera visible, le dissimule apparaitra. Ne pensons pas que Dieu nous rappellera nos fautes, nous serons nos propres juges. Nous craindrons ce jugement, si nous sommes orgueilleux ; si nous sommes humbles, nous n'aurons pas «froid dans le dos» ! «verra-t-on qui je suis réellement ?» oui ! Alors, se vérifieront notre humilité et notre simplicité.