Mgr Jean, évêque de Saint-Denis
Vous le savez tous et je le répète souvent, si l'on réunissait la totalité de ce que l'Église a annoncé et écrit, ce ne serait qu'une goutte d'eau dans l'océan de son enseignement pris en sa plénitude. Mais en plus de cette tradition orale, non dévoilée, nous possédons quelques documents dont le plus connu est le proto-évangile de saint Jacques. Il était lu en France et à Byzance pendant les fêtes de la Vierge jusqu'au VIIème siècle environ. Le texte que nous avons actuellement et dans lequel est racontée la jeunesse de Marie, est du IVème siècle ; on présume que c'est une soudure de trois ou quatre manuscrits plus anciens. En dehors de ce proto-évangile de Jacques, existent ce que l'on nomme les Apocryphes, nous fournissant des détails sur la nativité de la Mère de Dieu.
Quel est le sens de ce mystère ? Pourquoi fêtons-nous cette nativité ? Certes, parce que Marie est devenue la Mère de notre Dieu. Mais cette fête a divers aspects et je voudrais insister sur l'un d'eux, celui de la Résurrection.
Nous lisons, en effet, dans la Bible ces choses étranges : que les grandes femmes, les mères des grands êtres, ont souvent été stériles - Sarah, Rébecca, Rachel, la mère de Samson. - Anne est demeurée stérile fort longtemps, jusqu'en sa vieillesse, et c'est lorsque tout espoir était perdu, que la nature, d'une certaine manière se trouvait usée, semblable à une terre aride, c'est à ce moment-là que la Bénédiction divine produisit quelque chose d'analogue à la transfiguration du monde et à la Résurrection. Anne devint féconde comme les mortels deviendront immortels, comme les choses corruptibles deviendront incorruptibles. Par cette série de faits, depuis Sarah jusqu’à la mère de Marie, Dieu prépare l’humanité au 2ème miracle de son économie, la transfiguration et la résurrection de la nature. Il proclame : ce qui paraît impossible est possible, ce qui paraît stérile peut devenir fertile, ce qui est mort ressuscitera ! Vous le voyez déjà, la naissance de la Vierge est le premier geste de la Résurrection du Christ et de la résurrection universelle.
Mais cette nativité est précédée d’une longue et douloureuse attente. La stérilité était un opprobre dans les milieux juifs, et Joachim et Anne n’avaient pas d’enfants. Pour ce peuple d’Israël, toujours en attente du Messie, la naissance d’un enfant était la plus belle des bénédictions. Et voici, les justes, les intègres, les sages, les illuminés, Joachim et Anne, atteignaient la vieillesse sans descendants. Dieu voulait-il les punir ? Dieu voulait-il les abandonner ? Ils gravissaient avant la résurrection leur chemin de croix. Mais Marie apparaît, la stérilité verdit, et à l’image du tombeau du Christ, devient source de vie.
Les grands événements, les résurrections, les transformations des âmes, des peuples et du monde entier se préparent par une longue patience. En apparence rien n’arrive et tout se déroule comme si l’incrédule avait raison. Nous annonçons la Deuxième venue du Christ, la résurrection, la transfiguration de l’univers, et les siècles s’écoulent. Faudra-t-il un million d’années ? Peut-être. Deux jours ? Je ne sais. Et nous avons l’impression que la promesse divine s’éloigne, disparaît. Jusqu’à tel point que des rationalistes pensaient en lisant l’Écriture Sainte et l’Évangile, que notre Seigneur et ses apôtres étaient persuadés que tout s’accomplirait avant leur mort. Jamais ils ne le dirent. Mais celui qui croit et attend, sait que la transfiguration et la résurrection peuvent se produire demain, dans une seconde, dans mille ans…
Pourquoi Dieu désire-t-Il cette attente ? Pourquoi Joachim et Anne devaient-ils parvenir à un age avancé, 70, 80 ans, comme Sarah ? Pourquoi, nous chrétiens, sommes-nous la risée du monde lorsque nous parlons de résurrection universelle ou de transfiguration, et pourquoi ceux du dehors peuvent-ils d’écrier : « Annoncez, affirmez, répétez, quelle preuve avez-vous ? Demain ? Et les millénaires s’achèvent ! Pourquoi cette terrible épreuve ? Pourquoi faut-il frapper pour que Dieu ouvre, combattre, Le chercher pour Le trouver ? Mais surtout, pour quelle raison une peine aussi lourde est-elle imposée aux justes plutôt qu’aux pécheurs ? Le Tout-Puissant ne peut-Il Se manifester rapidement et laisser tomber une certaine consolation ?
La réponse est dans le dogme de la communion des saints. Joachim et Anne, Isaac et Rébecca, Abraham et Sarah, tous les justes de la terre, sont éprouvés rudement par Dieu, non seulement pour donner un exemple de courage aux autres, mais parce qu’ils représentent l’humanité et la récapitulent. En nous approchant de Dieu, nous nous approchons de nos frères et, nous approchant d’eux, nous prenons leur lourdeur. L’humanité antique a aspiré si longtemps après le Christ, Joachim et Anne ont espéré si longtemps la naissance de Marie, nous attendons depuis si longtemps la transfiguration de toutes choses, parce que ceux qui persévèrent pleins d’espérance et vont vers Dieu, portent sur leurs épaules tous ceux qui ont perdu la foi. Ce ne sont pas que Joachim et Anne qui engendrèrent la Vierge mais nous par eux, les défunts et les vivants, les hommes éloignés et les hommes proches de Dieu. En eux l’humanité est exaucée ; elle a frappé, le Seigneur a ouvert, elle a demandé et elle a reçu.
Amen !