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19 septembre 2018 3 19 /09 /septembre /2018 23:07
Le prénom dans orthodoxie.
L’objet de ce texte est de répondre à la surprise et à l’incompréhension de ceux, généralement Russes (ou de tradition russe comme on dit de nos jours), qui s’étonnent de rencontrer certains orthodoxes portant des prénoms composés ou des prénoms ne correspondant pas à celui d’un Saint orthodoxe. Etonnement s’accompagnant du commentaire suivant, quasi systématique : « Cela n’existe pas chez les Orthodoxe  car chaque individu n’a qu’un saint protecteur et non deux voire trois »…ou encore « Saint X, ça existe ça ? » avec une moue dédaigneuse… Il est vrai que la pratique du prénom composé est très rare chez les Orthodoxes. Nous n’en connaissons nous-même qu’un nombre réduit ; parmi eux un Jean-Jacques, un Pierre-Brice et le célèbre Jean-Louis Palierne, auquel les Orthodoxes francophones doivent de bien précieuses traductions dont celle de maints écrits de Saint Justin de Celije (Père Justin Popovitch), véritable Père de l’Eglise… 

 

 

Un tel rejet du prénom composé ou du prénom qui n’est guère celui d’un saint s’appuie sur l’explication suivante. Le prénom qui nous est donné au baptême doit être celui d’un saint qui, tout au long de notre vie, sera notre protecteur. Etant donné cela,  il devient inutile de porter un double prénom, comme si un seul saint n’était à même à lui seul d’effectuer cette tâche… Quant à choisir un prénom qui n’apparaît pas dans le synaxaire, cela reviendrait en quelque sorte à se priver de Saint patron protecteur. 

 

D’autres brandissent un argument supplémentaire, d’ordre pédagogique. Le nom du Saint servira de « phare » au baptisé, de balise, afin de lui montrer la voie qu’il doit suivre.

 

Ces arguments, toutefois, ne résistent guère à un examen objectif des données historiques et encore moins théologiques. Nous allons les développer ci-après.  

 

L’usage de donner un nom de Saint est limité spatialement et temporellement et ne saurait donc être absolutisé 

 

Les pays orthodoxes sont variés et nombreux. Il en résulte une diversité d’usage et de traditions même si la Foi, bien entendu demeure identique. Pour des raisons démographiques, historiques et autres, les pratiques les plus répandues sont celles d’origine russe et grecque. Cela ne doit guère faire oublier l’existence d’autres peuples orthodoxes, dont les pratiques, la foi et la ferveur ne sauraient être méprisées ou tenues pour inférieures quand on sait leur maintien en dépit des vicissitudes historiques. Le phylétisme n’est jamais bien loin quand on se met à encenser sans retenue des usages « nationaux »… et à regarder dédaigneusement ceux du voisin.  

 

Il s’avère que les Russes et les Grecs manifestent un attachement « sans borne » à l’usage du prénom unique, en tant que prénom antérieurement porté par un saint. Cela n’est guère le cas d’autres peuples orthodoxes, notamment les Serbes et les Géorgiens. 

 

Ces deux peuples, en dépit de leur christianisation précoce offrent un panel mêlant prénoms portés par des Saints et prénoms traditionnel, remontant à l’époque païenne. 

 

Ainsi, dans le cas de la Serbie, les prénoms Milan et Ratsko, notamment relèvent de cette dernière catégorie. Saint Sava, premier archevêque de l’Eglise autocéphale de Serbie avait pour nom pré-monastique Ratsko, en dépit de son baptême orthodoxe. Désirant embrasser la vocation monastique –on note que son prénom païen ne fut pas un frein à son désir d’absolu-, il lui fut donner le nom de Sava en l’honneur du célèbre moine Saint Sabbas. Depuis l’illumination de la Serbie, l’on conserve ces prénoms de l’époque pré-chrétienne et ce jusqu’à nos jours. Doit-on en conclure que les intéressés ne sont pas orthodoxes ou sont de mauvais orthodoxes ? Certainement pas à en juger la survie de l’orthodoxe en dépit des siècles de domination ottomane, et du témoignage de nombreux confesseurs « modernes » durant les persécutions oustachis. 

 

Il est vrai que l’Orthodoxie serbe présente cette particularité –également observable en Macédoine-, la Slava. Chaque famille dispose d’un Saint patron et sa fête est l’occasion d’un office particulier, la slava. On peut supposer que cette tradition pallie à l’absence de systématicité de prénom de Saints. Toutefois il semblerait plutôt qu’il fut question, du temps de la christianisation de ces terres, de substituer au culte des divinités familiales une autre célébration, plus chrétienne. 

 

Cette non systématicité des prénoms de Saints se retrouve en Géorgie, deuxième nation à adopter le Christianisme en tant que religion officielle après l’Arménie. De nombreux prénoms Géorgiens ne renvoient à aucun saint ni à aucune origine hébraïque mais remontent aux traditions locales. C’est notamment le cas des prénoms féminins : Léla, Nana , Thea, Theona et de bien d’autres qui ont des racines perses… 

 

Faute de connaître suffisamment les usages en Roumanie, Bulgarie et en d’autres lieux, nous ne pouvons traiter ces cas. Il nous a néanmoins paru intéressant de nous intéresser au cas de l’Arménie –en dépit de son « monophysisme-, du fait de l’ancienneté de la christianisation. La même observation peut-être faite que dans le cas de la Géorgie. En témoigne cette liste de prénom arménien, avec leur signification ou origine. 

 

Parmi les prénoms féminins figurent notamment : Achkène (nom d’une pierre de couleur noire ou bleue), Aghavnie (colombe), Anahide, déesse de la mythologie arménienne (nous sommes loin des Saints et du peuple d’Israël), Ankinée (signifiant rare et sans prix), Anouche (d’origine perse signifiant douce, lumineuse et parfumée), Araxie, nom dérivé d’un fleuve arménien, Ardémisse, variante d’Artémis, divinité paienne grecque. Un survol rapide des prénoms masculins (auquel nous ne nous livrerons pas) conduit au même constat… 

 

Cela peut en choquer plus d’un : des peuples chrétiens ont donc conserver des prénoms païens parmi lesquels on retrouve même des noms de Dieux ! Et pourtant, il s’agit bien de l’usage originel : être baptisé sans changer de prénom.  

 

L’usage originel a consisté pendant longtemps à recevoir le baptême sans changer de prénom  

 

 

Il n’en est fait nulle mention de changement de prénom dans les Actes des Apôtres. D’un point de vue pratique, avant le début des persécutions et son cortège de martyr, il était même impossible aux Apôtres de donner ces noms de Saints car les martyrs n’existaient pas encore. Aussi le centurion Corneille demeura-t-il Corneille et est vénéré sous ce nom. Il en est de même pour Priscille  

 

 

Supposons un instant que depuis le début de la prédication apostolique, tout nouveau baptisé ait eu à changer de prénoms et opter pour celui d’un Saint. Jamais alors, nous n’observerions une telle diversité de prénoms de Saints. Nous aurions dû nous contenter de prénoms d’origine hébraïque ainsi que ceux de ceux qui connurent le martyr sans avoir été baptisés (et qui sont considérés automatiquement comme saints). Il n’en est rien, nous avons des prénoms de Saints d’origine diverse : grecque, latine, germanique, celte, arabe… et la liste est loin d’être exhaustive. Il convient également de signaler que ces prénoms ne sont guère dans la majorité, des déclinaisons phonétiques ou autre adaptation locale d’un éventuel prénom d’origine hébraïque (voire grecque), à l’instar d’Yves qui n’est que la forme bretonne de Jean. 

Nous allons en montrer quelques  exemples en nous attachant aux Saints qui ont brillé sur la terre de France. 

 

-         Sainte Blandine de Lyon (2e siècle) : patronyme latin signifiant « doux, caressant »  

-         Saint Corentin de Quimper : le nom vient du breton  korventeen et signifie « ouragan » 

-         Sainte Loup ou Saint Leu (5e siècle) : fait référence simplement à l’animal du même nom 

-         Saint Gwénaël (6e siècle), moine : vient de « gwenn » et « maël », blanc et prince 

 

-         Sainte Geneviève de Paris, moniale : à nouveau une étymologie celtique signifiant fille du ciel  

-         Saint Hilaire de Poitiers (4e siècle) : du latin Hilarius, signifiant hilare, joyeux  

 

L’on voit clairement que ces Saints portent simplement leur prénom civil, le prénom issu de la culture à laquelle ils appartenaient. Un bref examen des prénoms d’origine germanique conduit à la même conclusion : 

 

-         Saint Wilfrid (8e siècle),archevêque d’York : « will » signifiant volonté et « frid » paix 

-         Saint Walter (3e siècle) : « waldo » : celui qui gouverne, et « heri », armée 

 

 Ainsi, le baptême ne s’accompagnait nullement de l’imposition ou de l’usage systématiques d’un nom d’un saint déjà connu. L’on conservait le prénom issu de la culture à laquelle on appartenait. Les prénoms ostensiblement païens ne constituaient pas non plus une barrière ou un interdit dans l’église. 

 Nous avons ainsi Saint Bacchus, mégalomartyr compagnon de Saint Serge (Serge, autre patronyme romain ou étrusque), qui porte le nom du Dieu romain de l’ivresse (et de la débauche aussi). Nous avons aussi le pape Jean II, au 6e siècle, dont le véritable prénom chrétien était Mercure (Dieu romain du commerce). Trouvant la chose peu digne d’un Pape, il changea de prénom inaugurant ainsi cette tradition chez les Papes. Il convient de noter que compte tenu des canons interdisant l’accès au clergé aux convertis récents, il est fort à parier que Mercure avait évolué au sein de l’église, au point d’être élu Pape, sans que son nom ne suscitât davantage de remous. 

 

Cet usage de changer de prénom et d’adopter un prénom de saint souffre aussi d’une exception de taille (au moins) dans le monde slave. Sous quel nom fut baptisé le Prince Wladimir de Kiev ? Sous le nom de Basile, et pourtant il est passé dans le synaxaire sous le nom de Saint Wladimir, ce qui corrobore nos thèses. Il était donc appelé de son nom originel. 

 

Ainsi l’usage du nom baptismal est bel et bien limité géographiquement et temporellement. Il serait intéressant de se rappeler la sentence de Saint Vincent de Lérins prônant de  « Tenir pour vérité de foi ce qui a été cru partout, toujours et par tous ». Il découle donc de l’énoncé de ces divers exemples que l’usage du prénom baptismal unique emprunté à un saint ne peut figurer parmi les vérités de foi. L’on se doit aussi de rejeter comme faisant obligatoirement partie de ces vérités de foi la croyance selon laquelle il est assigné à chacun un Saint Patron unique qui fait office de protecteur. Pendant longtemps les orthodoxes s’en sont passés et certains continuent de le faire. Une telle croyance ou un tel usage relèvent au pire de l’erreur  au mieux du théologoumène, opinion théologique acceptable dans la mesure où elle ne contredit pas une vérité de foi. 

 

Il nous a paru intéressant de jeter un bref regard théologique sur cette tradition du Saint Patron, en toute modestie bien sûr.  

La coutume du Saint Patron ne doit guère faire oublier qu’être chrétien consiste à revêtir le Christ 

 

 

On invoque la notion de protection qu’octroie le Saint Patron à celui qui porte son nom. Des miracles, très certainement, corroborent cette hypothèse. Elle est également attesté par une prière en usage dans l’Eglise : « Prie pour moi, saint X…, mon saint protecteur, car c’est avec confiance que j’ai recours à toi, comme à l’intercesseur assidu et au soutien de mon âme ». Une autre prière s’adresse, elle, à l’Ange gardien dont voici quelques extraits : « Saint Ange préposé à la garde de mon âme misérable et de ma vie de passion, ne m’abandonne pas, moi pécheur et ne t’éloigne pas de moi ». Et un peu plus loin : « prie pour moi le Seigneur afin qu’il m’affermisse dans la crainte et fasse de moi un serviteur digne de sa miséricorde. Amen ». L’Ange gardien remplit ainsi la même fonction d’intercession et de protection que le Saint patron. 

 

Son existence est confirmée par maints écrits patristiques et par la phrase du Christ en Matthieu 18 :10 : « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petit; car Je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux »

 

Cela amène quelques interrogations ? Quels besoins de deux personnages célestes pour remplir la même fonction d’intercesseur et de protecteur ? Si l’on accepte la chose, pourquoi alors refuser que certains aient plus d’un Saint Protecteur, rejetant par là les prénoms composés ? 

 

Il est heureux de se souvenir de l’existence des anges gardiens et des saints, mais cela ne doit pas nous faire oublier le but de la vie chrétienne et le sens même du baptême. Lors de celui-ci, nous revêtons le Christ lui-même et non un Saint ou un ange. Rappelons que l’église par le canon 35 du canon de Laodicée a voulu mettre un frein à un culte des anges qui prenait des proportions exagérées et amenaient à oublier le Christ. Dans cette volonté à tout prix d’imposer des prénoms dits chrétiens, n’y a-t-il pas à nouveau cet oubli du Christ? 

 

Pourtant, les Saints eux-mêmes ne sont eux-mêmes n’ont guère une existence indépendante de celle du Christ. A ce sujte, Saint Justin de Celije voyait dans la phrase finale de l’Evangile selon Saint Jean, sur les actions du Christ qui pourraient remplir tous les livres de la Terre, une allusion aux vies des Saints. Ces derniers « prolongent » donc simplement la vie du Christ. 

 

La vie chrétienne est bien union avec le Christ : au Baptême, nous chantons, « vous tous qui avez été baptisé en Christ, vous avez revêtu le Christ ». Par le Baptême puis par les Mystères que nous recevons au sein de l’Eglise (où tout est Mystère et pas uniquement 7 actions particulières, cf la Dogmatique de Saint Justin de Celije), nous recevons la Grâce, à savoir les énergies incréées issues de la Sainte Trinité elle-même. La Grâce à elle-seule ne suffit pas et doit se doubler d’efforts ascétiques personnels afin que l’homme collabore à l’œuvre de Dieu : c’est la synergie, condition sine qua nonpour une « Vie en Christ ». 

 

Le chrétien est celui qui tente de vivre selon ce schéma (rapidement résumé). Certains y sont parvenus et y parviennent sans pour autant porter le nom d’un Saint patron alors que d’autres qui en étaient pourvus ne se sont guère montrés dignes du leur… Avoir un ou des Saints Patrons, pas plus qu’être baptisé, ne prédestine à la sainteté et ne permet guère de préjuger du salut de quiconque (nous parlons des adultes bien entendu). L’effort personnel, le podvig comme disent les Russes est requis. 

 

Aussi pouvons-nous nous interroger sur l’éventuelle protection qu’accorderait un Saint patron ou un ange gardien qui n’est jamais prié… Quant à ceux dont le prénom ne renvoie à aucun saint patron particulier, il est certain que de facto ils en possèdent un du fait de leur choix propre, de leur dévotion à tel ou tel saint. 

 

Un certain parallèle pourrait être fait entre la question de la circoncision et la nécessité ou pas d’avoir un seul et unique Saint patron. Au premier temps, certains voulurent au sein de l’Eglise, étendre l’obligation de la circoncision aux païens convertis. L’affaire suscita bien des remous et fut tranchée au concile de Jérusalem qui rejeta cette option. Certains propos sont éloquents (Actes chapitre 15) 

 

 « Pourquoi donc maintenant vouloir provoquer Dieu en imposant à ses disciples un joug que ni nos ancêtres ni nous n’avons jamais eu la force de porter ? Non ! Voici au contraire ce que nous croyons : c’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous sommes sauvés, nous Juifs, de la même manière qu’eux » déclare Saint Pierre. Et Saint Jacques le Frère du Seigneur, de renchérir : « C’est pourquoi je suis d’avisqu’on ne crée pas de difficultés à des païens qui se convertissent à Dieu » (verset 19). 

 

 Cet épisode révèle que la foi chrétienne ne consiste pas à imposer aux nouveaux convertis des éléments d’une culture étrangère qui ne relèvent plus de la coutume (certes pieuse) que de la foi. Cela constitue pour eux un joug supplémentaire qui leur crée des difficultés et des souffrances inutiles. Il en est de même en matière de prénom.  Les exemples cités en première partie illustre bien le respect des coutumes dont on fait preuve les évangélisateurs  en laissant intact les prénoms locaux qui appartenaient à la culture des peuples qu’ils visitaient. Devenir orthodoxe ne signifie pas changer de culture et adopter une culture (voire un folklore pour certains) étrangère mais « orthodoxiser » sa propre culture.  En matière de prénoms, ceux qui évoquaient le paganisme, l’idolâtrie, en sont même devenus aujourd’hui des prénoms considérés comme chrétiens, signe du respect des mœurs local mais surtout de leur transfiguration… Signe d’un succès évident également. 

 

Dès lors, l’adoption de l’orthodoxie devrait pouvoir s’accompagner de la conservation du prénom antérieur pour peu qu’il soit inclus dans le patrimoine culturel du peuple considéré. 

 

Pourquoi demanderions-nous à un musulman de renoncer à son prénom (qui est souvent arabe plus que musulman) alors que pareille chose ne fut pas exigée à l’Arménien, au Franc, au Géorgien, au Serbe etc ? De facto, en Occident, les prénoms doubles font partie des traditions locales depuis fort longtemps, respectons-les. Si un jour nous pouvons prier un Saint Omar –il existe déjà un Saint Ahmed qui reçut le baptême du sang- ou un Saint Jean-Pierre, nous verrons là la manifestation claire et visible de cette prophétie : « il y avait une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue. Ils se tenaient devant le trône et devant l'agneau, revêtus de robes blanches, et des palmes dans leurs mains. Et ils criaient d'une voix forte, en disant: Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône, et à l'agneau » (Apocalypse 7 :9-10).

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