L'ambiance existentielle
Nous appellerons "ambiance existentielle" tout simplement le climat intellectuel affectif, social dans lequel se trouve un être humain évoluant dans un milieu donné. Commençons par dire que l'ambiance chrétienne diffère des ambiances juive, musulmane, bouddhiste : le bouddhiste vit une imprégnation divine assez diffuse, en se sentant le frère intime des animaux, des plantes, des pierres, etc. ; le musulman, sensible à la grandeur majestueuse du Dieu unique, vit une sorte de geste chevaleresque dans un univers resté semblable au désert d'Arabie peuplé de nomades qui étaient guerriers et poètes ; le juif vit encore dans l'attente du Messie promis au peuple élu, et il considère que les justes, souvent inconnus de leurs proches, soutiennent le monde à la manière de puissantes et saintes colonnes…
Le chrétien confesse le Christ, Fils du Dieu Vivant, qui récapitule en Lui toutes choses.
Mais le chrétien sait que le Messie est venu ; il l'appelle par son Nom : Notre Seigneur Jésus Christ. Il confesse le Seigneur dans la Trinité. Tout ce qu'il voit, entend, touche... est une parole du Christ à la gloire du Père, perçue dans le Saint Esprit.
La vie du chrétien, c'est l'Evangile dans l'attente de la Parousie.
AMBIANCE ROMAINE
AMBIANCE ORTHODOXE
- On porte l'accent sur les souffrances du Christ en Croix. D'où : crucifix, chemins de croix, etc.
Exaltation de la douleur purificatrice. On ressent une certaine culpabilité dans le joyeux exercice de la vie corporelle.
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- On dissocie la sainte humanité du Christ : culte des saintes plaies, culte du Sacré Cœur...
On voit le Christ exposant sa douleur, comme un reproche adressé à l'homme pécheur ; on met l'accent sur le péché qui coupe le courant de la grâce sanctifiante.
- Culte souligné du Très Saint Sacrement. L'Hostie adorée est, comme dans la communion des fidèles, séparée du Calice. Enfermée dans le "tabernacle", la divine Hostie est séparée du mouvement de l'histoire humaine.
- Idée juridique de la pénitence. Jugement, tribunal, expiation. C'est avec ces idées de souffrance expiatoire et de "mérites" acquis pour le salut qu'on se restreint pendant le Carême et qu'on récite des prières, sur l'ordre du prêtre, après la confession des péchés.
On se confesse au prêtre en se tenant pour coupable et en identifiant soi-même sa culpabilité. Autrement dit, on s'accuse et se juge soi-même comme devant un tribunal, en raison d'un code préalable estimant que telle faute est, en soi, "plus grave" qu'une autre.
- Deux extrêmes.
Ou bien : "on fait son salut" ("je n'ai rien qu'une âme et je dois la sauver", dit un cantique romain). Ainsi le chrétien sauve son âme, le prêtre dit sa messe : on espère ainsi accumuler des "mérites".
Ou bien, comme aujourd'hui : on se lance à corps et âme perdus dans le social, voire dans la révolution et la lutte des classes... Et la vie intérieure devient "un luxe pour les riches."
Pâques est au centre de tout. Vainqueur de la mort, le Seigneur est libérateur bien plus que souffrant.
Les icônes nous font contempler la joie paisible du monde transfiguré. Le corps participe au culte doxologique.
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Le Christ n'est pas divisé : on le voit dans toute sa gloire; Il est le Pantocrator Christ en majesté. Mais l'homme dont il s'agit chez les orthodoxes, c'est l'homme ressuscité avec le Christ, déjà réintroduit dans la lumière joyeuse de sa gloire.
Nous l'avons vu, pour les orthodoxes, le Corps ne peut jamais être séparé du Sang. Le Christ est engagé dans l'étoffe de l'histoire. Son "tabernacle", c'est l'évènement quotidien. La vie dans sa totalité.
La pénitence est un acte positif, consistant à voir plus clair en soi et à s'élever jusqu'à l'intelligence du repentir. En voyant son péché, écran entre elle-même et Dieu, la créature pleure des larmes où se mêlent une immense humilité du cœur et la joie à la pensée de ce que Dieu fait pour nous. Le jeûne du Carême (aucune nourriture animale) a pour but de nous rapprocher de l'état paradisiaque, où l'homme vivait en amitié avec toutes les créatures de Dieu. On se confesse au prêtre pour la libération de son âme, comme on se confie au médecin pour la guérison de son corps. La pénitence est une thérapeutique de l'âme.
Un chrétien ne saurait se sauver seul. Il ne fera pas son salut si cette préoccupation de "sauver son âme" l'incline à l'égoïsme. La vie spirituelle commence par l'ouverture aux autres; la liturgie "objectivise" :
elle fait sortir du "moi". On réalise son salut en disant "toi" à quelqu'un d'autre.
Cela étant, les orthodoxes, comme tels, se gardent bien de déserter la vie spirituelle et le culte pour se livrer à des exercices d'extériorité militante dont les idéologies les plus étrangères à l'Eglise tissent le thème.
Enfin, chez les orthodoxes, qui ont un clergé marié, la virginité ne consiste pas en une condamnation, accompagnée de répugnance, de l'acte sexuel. Mais en l'acquisition, par la grâce du Saint Esprit, d'un état de transparence à Dieu, cet état cohabitant parfaitement avec le mariage et des activités professionnelles dans le siècle.
La virginité n'est pas un bien qui se "conserve" avec des craintes, des méfiances, des refoulements, un repli sur soi. Elle est un trésor qui s'acquiert avec la charité, un esprit d'ouverture aux autres, la sainte habitude de toujours dire "toi" et non pas "moi". Léon BLOY avait une conscience orthodoxe quand il écrivit : "la main fermée, c'est la mort !"