L'Eglise a toujours célébré dos au peuple
Aujourd’hui un courant liturgique monte en puissance, y compris au Vatican, pour dire que la liturgie dite de la parole, durant la messe, devrait se faire face au peuple tandis que la liturgie eucharistique de ladite messe devrait se célébrer tourné vers le Seigneur (pas de face à face peuple-prêtre).
Pour comprendre cette problématique, il faut absolument lire le livre écrit en 2004 et publié en français en 2006 aux éditions ad solem avec une préface de Joseph Ratzinger. L’ouvrage intitulé « Se tourner vers le Seigneur – Essai sur l’orientation de la prière liturgique » est une synthèse brillante et fouillée des travaux archéologiques, historiques, liturgiques et théologiques sur ce sujet.
L’auteur Uwe Michael Lang a fait-là un travail érudit et colossal. Ce livre vient atomiser scientifiquement les travaux très orientés de certains liturgistes qui ont fourni autrefois des armes idéologiques à ceux qui militaient pour une absolutisation dogmatisée de la messe célébrée face au peuple.
L’auteur explique d’emblée (p. 24) « Un examen des données historiques montrera que l’orientation commune du prêtre et du peuple est largement attestée dans l’Eglise primitive et qu’il y avait bien une coutume générale en ce sens.
Il deviendra clair que cette direction commune dans la prière liturgique a été une solide tradition en Orient comme en Occident. » Précisons que “l’orientation commune du prêtre et du peuple” signifie qu’ils regardent ensemble dans la même direction et donc que le prêtre ne célèbre pas face au peuple.
Et «p.35 Il ne fait aucun doute que, dès les tout premiers temps, il allait de soi, pour les chrétiens de tout le monde connu, de prier en direction du soleil levant, c’est-à-dire vers l’est géographique ».
C’était une direction eschatologique de retour du Christ, Lumière se levant sur le monde. Et p. 51 « Prier face à l’Est fut un élément déterminant pour la liturgie et l’architecture chrétienne des débuts. Etablie comme une règle, la direction de l’est décida de la position du célébrant à l’autel ».
Fidèles et prêtre étaient ainsi tournés vers l’est. A ce sujet, les conclusions contraires d’Otto Nussbaum sont démontées dans le détail par l’auteur qui fait appel aux travaux d’autres chercheurs. Uwe Michael Lang montre par exemple bien pourquoi des basiliques romaines n’étaient pas tournées vers l’Est (l’entrée avait dû être faite pour accéder depuis la rue, ou il y avait un bâtiment ou des fondations préexistant à l’époque constantinienne, etc.)
Bref, l’architecture spéciale de la basilique demandait conséquemment un placement spécial de l’autel (à l’entrée, dans l’abside ou au centre de la nef) et donc une position spéciale du célébrant lui-même par rapport aux fidèles.
Dans une basilique comme le Latran par exemple, la cathèdre de l’évêque était placée dans l’abside comme il seyait alors aux plus hauts dignitaires romains dans les basiliques séculières.
Bref, quand une basilique romaine n’était pas orientée vers l’Est, lieu de direction de la liturgie, l’évêque devait dans un certain nombre de cas célébrer vers les fidèles suivant la configuration des lieux, ce qui ne veut pas dire que ces fidèles pouvaient bien voir ses mouvements lors de la partie proprement eucharistique (grande anaphore), au contraire vu la distance importante entre chœur et nef ou la superstructure érigée autour de l’hôtel (p.58) dans les grandes basiliques.
Quant à la basilique Saint-Pierre, c’était un martyrium avec le corps de l’Apôtre. L’édifice antique avait donc une destination tout à fait spéciale.
Pour l’auteur, l’examen archéologique permet de dire que « p.52 la célébration de l’Eucharistie face au peuple n’était pas du tout la pratique générale dans l’Antiquité chrétienne ».
Et l’auteur ajoute en page 61 : « En dépit des protestations du contraire, on ne trouve pas d’éléments explicites pour affirmer que dans l’Eglise primitive le point focal sur lequel s’orientait la liturgie était l’autel en lui-même ».
On célébrait vers le Seigneur et la question a toujours été jusqu’aux débuts du Moyen Age celle de l’orientation liturgique et pas du tout celle de célébrer ou non face au peuple, problématique qui est en fait contemporaine.
Les basiliques romaines avec l’abside à l’ouest ont plutôt constitué une exception qui a certes inspiré la construction d’un certain nombre d’autres églises comme celle de Saint-Gall par exemple, mais l’auteur note que par la suite les églises romaines se sont elles-même conformées dans l’orientation à la disposition habituelle des autres églises d’Occident qui était l’Est.
Un Ordo Romanus de la moitié du VIIIe siècle est suffisamment détaillé pour montrer que le Pontife ne se tournait vers le peuple que pour certaines prières alors qu’une version plus courte et plus ancienne de l’Ordo Romanus I a été rédigée pour une basilique ayant visiblement l’entrée à l’Est, ce qui mettait le pontife face au peuple.
Toujours est-il qu’ en Orient, dans le christianisme antique, l’orientation des églises à l’Est est assez généralement respectée également.
Pour Uwe Michael Lang, p. 113, l’histoire de la célébration versus populum (face au peuple) proprement dite débute à la fin du moyen âge, et à la Renaissance, époque où la compréhension du principe chrétien de diriger vers l’est la prière commença à s’estomper à cause d’interprétations erronées quant à l’architecture des églises romaines des premiers temps.
En conclusion, il est nécessaire de lire ce livre des éditions ad solem pour savoir de quoi l’on parle car c’est le meilleur sur le sujet. Il permet en outre de dépasser par le haut la querelle de l’orientation liturgique et de décrisper les fronts.
Ce qui est sûr c’est qu’après avoir lu cette étude on ne peut plus prêcher en faveur de l’absolue nécessité de célébrer en tout temps et en tout lieu face au peuple…
Et le pape a bien laissé entendre par ses actes et ses paroles qu’un jour, mais le processus sera prudent et lent, des choses vont bouger liturgiquement dans ce domaine de l’orientation de la prière liturgique. Le crucifix qu’il place sur son autel montre la direction.
Dans un livre publié en 2004 en anglais (et en 2006 en français par la maison d’édition “Ad solem”) et consacré à l’orientation de la prière liturgique*, celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger écrivait en préface: “Pour le catholique pratiquant ordinaire, les changements les plus patents de la réforme liturgique du second concile du Vatican semblent tenir en deux points: la disparition du latin, et le fait d’avoir tourné les autels vers le peuple. Ceux qui liront les documents de référence seront surpris de constater qu’en vérité ni l’un ni l’autre ne se trouve dans les décrets du concile. (…) Il n’y a rien dans le document conciliaire qui concerne le fait de tourner les autels vers le peuple; ce point n’apparaît que dans les instructions post-conciliaires.”
Le cardinal Ratzinger cite ensuite les textes (directives) disant qu’il est “préférable” et “souhaitable” de célébrer vers le peuple, mais ajoute que “cela n’implique aucune obligation” et que ce “n’est qu’une simple suggestion” comme l’a précisé le 25 septembre 2000 la Congrégation pour le culte divin.
Joseph Ratzinger ajoute (la préface du livre a été signée en 2003): “L’orientation physique, dit la Congrégation, doit être distinguée de l’orientation spirituelle.Même s’il célèbre vers le peuple, le prêtre devrait toujours être orienté vers Dieu par Jésus-Christ.
Rites, signes, symboles et paroles jamais ne pourront épuiser la réalité intérieure du mystère du salut. Voilà pourquoi la Congrégation met en garde contre toute position unilatérale et rigide dans ce débat.” Le pape, qui a d’ailleurs déjà célébré par exemple en janvier 2008 “tourné vers le Seigneur”, ajoute notamment dans la préface du livre précité: “Cet ouvrage récapitule un débat, qui, en dépit des apparences, n’a jamais été conclu, pas même après le deuxième concile du Vatican.
Le liturgiste d’Innsbruck Josef Andreas Jungmann, l’un des architectes de la Constitution conciliaire sur la sainte Liturgie, s’est résolument opposé, dès le tout début, au slogan polémique selon lequel auparavant le prêtre célébrait en tournant le dos au peuple; il souligne avec force que le point à considérer n’est pas que le prêtre se détournait des fidèles, mais au contraire qu’il se tournait dans la même direction qu’eux.
La liturgie de la Parole revêt le caractère de la proclamation et du dialogue: adresses et répons lui appartiennent à juste titre. Mais dans la liturgie de l’Eucharistie, le prêtre conduit l’assemblée en prière en direction du Seigneur vers qui il se tourne avec elle.
C’est pourquoi, dit Jungmann, la direction commune du prêtre et du peuple est si intrinsèquement adaptée à l’acte liturgique.
Louis Boyer (qui fut comme Jungmann l’un des liturgistes artisans du Concile) et Klaus Gamber ont l’un et l’autre, chacun à sa manière, traité de cette même question.
En dépit de leur grande renommée, il ne leur fut d’abord pas possible de faire entendre leur voix, si forte et insistante était la tendance à communaliser la célébration liturgique, qui poussait à considérer dès lors le face à face du prêtre et des fidèles comme une absolue nécessité. Ces derniers temps, l’atmosphère s’est peu à peu apaisée…”
Mgr Slattery, évêque de Tulsa (Etats-Unis) célèbre désormais la messe dans sa cathédrale tourné vers le Seigneur. Voici ce qu’il dit:
“Depuis les temps anciens, la position du prêtre et du peuple reflétait cette idée de la Messe, puisque le peuple priait, était debout ou à genou à l’endroit qui, visiblement, correspond au Corps de Notre Seigneur, tandis que le prêtre à l’autel se tenait à la tête comme Tête.
Nous formions tout le corps du Christ – Tête et membres – à la fois sacramentellement par le baptême et visiblement par notre situation et notre attitude.
De manière tout aussi importante, chacun – célébrant ou assemblée – regardait dans la même direction puisqu’ils étaient un seul dans le Christ pour l’offrande au Père du sacrifice du Christ, unique, non répétable et acceptable.
Quand nous étudions les plus anciennes pratiques liturgiques de l’Église, nous découvrons que le prêtre et le peuple faisaient face à la même direction, généralement l’Est, dans l’attente du retour du Christ puisqu’Il reviendra “de l’Orient”.
À la Messe, l’Église veille en attendant ce retour.
Cette position unique est dite ad orientem, ce qui signifie simplement “tourné vers l’Est”. Prêtre et peuple célébrant la Messe ad orientem fut la norme liturgique pendant près de dix-huit siècles. Il devait y avoir de solides raisons pour que l’Église ait maintenu pendant si longtemps cette norme.
Et il y en avait ! (…) Bien avant son élection comme successeur de saint Pierre, le pape Benoît XVI nous a vivement conseillé de faire appel à l’ancienne pratique liturgique de l’Église afin de retrouver un culte plus authentiquement catholique.
C’est pour cette raison que j’ai rétabli la vénérable disposition ad orientem quand je célèbre la Messe à la cathédrale.
Ce changement ne doit pas être mal interprété, comme : “l’évêque tourne le dos aux fidèles”, ou comme un manque d’égards envers les fidèles voire une hostilité qui seraient miens.
De telles interprétations montrent que l’on n’a pas compris qu’en faisant face à la même direction, la position du célébrant et celle de l’assemblée rendent explicite le fait que nous cheminons tous ensemble vers Dieu.
Le prêtre et le peuple sont ensemble dans ce pèlerinage. Ce serait aussi une idée erronée que de considérer cette retrouvaille d’une ancienne tradition comme un pur retour en arrière.
Le pape Benoît XVI répète constamment qu’il est important de célébrer la Messe ad orientem, mais son intention n’est pas d’encourager les célébrants à devenir des “antiquaires de la liturgie”.
Tout au contraire, Sa Sainteté veut que nous redécouvrions ce qui sous-tend cette ancienne tradition et l’a rendu pérenne pendant tant de siècles, à savoir que l’Église comprend que la célébration de la Messe est d’abord et essentiellement le culte que le Christ offre à son Père. »
Vincent Pellegrini
Cardinal Ratzinger, : « La prière en commun vers l'Est ne signifiait pas que la célébration se faisait en direction du mur ni que le prêtre tournait le dos au peuple – on n'accordait d'ailleurs pas tant d'importance au célébrant […]. Ils ne s'enfermaient pas dans un cercle, ne se regardaient pas l'un l'autre mais, peuple de Dieu en marche vers l'Orient, ils se tournaient ensemble vers le Christ qui vient à notre rencontre. »
(Joseph Ratzinger, L'esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001, p.68)