Le mensuel catholique La nef vient de publier, dans son numéro de septembre 2010 (n°218), un entretien avec Olga Lossky à propos de son dernier ouvrage La révolution des cierges (Gallimard, 2010).
Un livre, un auteur : Olga Lossky
Olga Lossky
Source : La Nef n°218 de septembre 2010
La Nef - Olga Lossky, vous êtes la fille d'André Lossky, l'un des meilleurs spécialistes de la liturgie byzantine en France et professeur à l'Institut Saint Serge, fils de Nicolas Lossky, prêtre orthodoxe rattaché au Patriarcat de Moscou, lui-même fils du célèbre théologien Vladimir Lossky dont l'œuvre a influencé des générations de fidèles et de théologiens catholiques et orthodoxes. Peut-on établir un lien entre cette impressionnante généalogie et votre dernier roman La révolution des cierges et, si oui, lequel ?
Olga Lossky - Je suis issue d’une famille de l’émigration russe, qui a dû quitter Saint-Pétersbourg à la suite des événements de 1917, et dont l’exil en Occident fut – comme pour de nombreux autres intellectuels de cette époque – l’occasion d’un recentrage sur l’essentiel : la foi en Christ. D’où la fécondité théologique de ces générations, qui a entre autres conduit à un dialogue en profondeur avec la chrétienté occidentale. La Révolution des cierges est un peu un retour aux sources, puisque j’y évoque l’atmosphère de Moscou durant la Révolution bolchévique, à travers le regard croisé d’un moine iconographe reclus derrière les rempart de son monastère et d’une femme du peuple qui attend le retour de son fils parti au front. Le personnage central est en fait une icône, celle de la Descente aux Enfers que le moine Grégoire a entrepris d’écrire tandis que les émeutes font rage à Moscou. L’icône suivra la trajectoire de mes ancêtres et parviendra jusqu’en France, dans la devanture d’un antiquaire parisien, où elle attirera l’attention d’une vieille dame de l’émigration…
Comment vous est venue l'idée d'écrire un roman dont le personnage principal serait une icône ?
Olga Lossky - Tout d’abord, je suis fascinée par la façon dont un objet peut circuler d’une vie humaine à l’autre, tisser ensemble plusieurs destinées, souvent à l’insu de ses propriétaires successifs, et permettre ainsi d’établir des rapprochements significatifs entre les êtres et les époques. Ceci est tout particulièrement vrai d’une icône, qui n’est pas un seulement un objet d’art, comme on a souvent tendance à la considérer aujourd’hui, mais l’expression d’une réalité théologique essentielle, celle de l’incarnation du Christ. Je suis partie de cette idée de mettre en parallèle plusieurs vies tournant autour de l’axe de l’icône, en vue d’exprimer la théologie dont elle est porteuse. Les sept jours nécessaires au père Grégoire pour mener à bien son ouvrage vont au-delà d’une simple démarche de création esthétique et sont l’occasion d’une expérience spirituelle intense, où l’on entrevoit le rôle central que tient l’icône dans la Tradition orthodoxe.
Nadejda Ignatievna, l'une des héroïnes de La révolution des cierges, attend le retour de son fils, parti à la guerre, tandis que le moine Grégoire écrit une icône de la descente aux enfers. Faut-il voir dans votre roman une "icône" de la passion du peuple russe ?
Olga Lossky - En un sens oui, mais dans la mesure où la descente du Christ dans la tombe est prélude à sa Résurrection. Nous sommes là dans une période charnière du peuple russe, marqué par des siècles de régime autocratique. Un espoir immense habite tous les personnages, incarné notamment par la fille aînée de Nadejda, Véra. La jeune fille est à la fois animée d’une profonde piété religieuse et pleine de zèle pour l’idéologie nouvelle susceptible de respecter la dignité de chaque personne. Cet espoir sera, comme on le sait, battu en brèche par le verrouillage totalitaire de l’Union Soviétique et le peuple russe aura encore une longue épreuve à subir avant l’aube de la Résurrection, en particulier l’Église qui connaîtra l’enfer de la persécution.
Cette vieille femme en quête de nourriture qui erre dans les rues de Moscou avec un buste de Pouchkine sur le dos est-elle pour vous un symbole de la Russie à l'aube du XXeme siècle ?
Olga Lossky - Sans doute. C’est toute une tradition pluriséculaire qu’elle a sur les bras, incarné par le grand poète national. Nadejda Ignatievna cherche un acquéreur pour cet héritage si pesant dont on ne peut se défaire aussi facilement, malgré la volonté des bolchéviques de faire table rase. De même pour la religion : s’il est temps de réformer le système gangréné par les influences politiques – en particulier depuis le synode que Pierre le Grand a mis en place au XVIII° siècle pour gouverner l’Église – il s’agit non pas de tout rejeter, mais de revivifier une Tradition puisant ses racines dans l’époque apostolique et qui a eu tendance à se scléroser, à se raccrocher à des rites dont on a perdu la signification. C’est ce que s’emploie à faire le concile de Moscou de 1917, une révolution ecclésiale en son genre, dont les séances seront suspendues par les bolchéviques.
Que représente pour vous l'ultime vernissage de l'icône à Paris ?
Olga Lossky - Un message d’espoir qui chemine au fil des époques, traverse les soubresauts les plus tragiques de l’histoire et ne cesse d’être actualisé par chaque nouvelle génération : si le Christ est descendu au plus profond de notre enfer, c’est pour nous faire don d’une vie nouvelle qui est la vie divine. Les destinées humaines se succèdent, mais à tous Dieu donne la possibilité de s’unir dès à présent à sa mort et sa Résurrection, ce que symbolise l’icône de la Descente aux Enfers.
Propos recueillis par Alain Durel
La révolution des cierges, de Olga Lossky, Gallimard, 2010, 355 pages, 21 €.
Olga Lossky - Je suis issue d’une famille de l’émigration russe, qui a dû quitter Saint-Pétersbourg à la suite des événements de 1917, et dont l’exil en Occident fut – comme pour de nombreux autres intellectuels de cette époque – l’occasion d’un recentrage sur l’essentiel : la foi en Christ. D’où la fécondité théologique de ces générations, qui a entre autres conduit à un dialogue en profondeur avec la chrétienté occidentale. La Révolution des cierges est un peu un retour aux sources, puisque j’y évoque l’atmosphère de Moscou durant la Révolution bolchévique, à travers le regard croisé d’un moine iconographe reclus derrière les rempart de son monastère et d’une femme du peuple qui attend le retour de son fils parti au front. Le personnage central est en fait une icône, celle de la Descente aux Enfers que le moine Grégoire a entrepris d’écrire tandis que les émeutes font rage à Moscou. L’icône suivra la trajectoire de mes ancêtres et parviendra jusqu’en France, dans la devanture d’un antiquaire parisien, où elle attirera l’attention d’une vieille dame de l’émigration…
Comment vous est venue l'idée d'écrire un roman dont le personnage principal serait une icône ?
Olga Lossky - Tout d’abord, je suis fascinée par la façon dont un objet peut circuler d’une vie humaine à l’autre, tisser ensemble plusieurs destinées, souvent à l’insu de ses propriétaires successifs, et permettre ainsi d’établir des rapprochements significatifs entre les êtres et les époques. Ceci est tout particulièrement vrai d’une icône, qui n’est pas un seulement un objet d’art, comme on a souvent tendance à la considérer aujourd’hui, mais l’expression d’une réalité théologique essentielle, celle de l’incarnation du Christ. Je suis partie de cette idée de mettre en parallèle plusieurs vies tournant autour de l’axe de l’icône, en vue d’exprimer la théologie dont elle est porteuse. Les sept jours nécessaires au père Grégoire pour mener à bien son ouvrage vont au-delà d’une simple démarche de création esthétique et sont l’occasion d’une expérience spirituelle intense, où l’on entrevoit le rôle central que tient l’icône dans la Tradition orthodoxe.
Nadejda Ignatievna, l'une des héroïnes de La révolution des cierges, attend le retour de son fils, parti à la guerre, tandis que le moine Grégoire écrit une icône de la descente aux enfers. Faut-il voir dans votre roman une "icône" de la passion du peuple russe ?
Olga Lossky - En un sens oui, mais dans la mesure où la descente du Christ dans la tombe est prélude à sa Résurrection. Nous sommes là dans une période charnière du peuple russe, marqué par des siècles de régime autocratique. Un espoir immense habite tous les personnages, incarné notamment par la fille aînée de Nadejda, Véra. La jeune fille est à la fois animée d’une profonde piété religieuse et pleine de zèle pour l’idéologie nouvelle susceptible de respecter la dignité de chaque personne. Cet espoir sera, comme on le sait, battu en brèche par le verrouillage totalitaire de l’Union Soviétique et le peuple russe aura encore une longue épreuve à subir avant l’aube de la Résurrection, en particulier l’Église qui connaîtra l’enfer de la persécution.
Cette vieille femme en quête de nourriture qui erre dans les rues de Moscou avec un buste de Pouchkine sur le dos est-elle pour vous un symbole de la Russie à l'aube du XXeme siècle ?
Olga Lossky - Sans doute. C’est toute une tradition pluriséculaire qu’elle a sur les bras, incarné par le grand poète national. Nadejda Ignatievna cherche un acquéreur pour cet héritage si pesant dont on ne peut se défaire aussi facilement, malgré la volonté des bolchéviques de faire table rase. De même pour la religion : s’il est temps de réformer le système gangréné par les influences politiques – en particulier depuis le synode que Pierre le Grand a mis en place au XVIII° siècle pour gouverner l’Église – il s’agit non pas de tout rejeter, mais de revivifier une Tradition puisant ses racines dans l’époque apostolique et qui a eu tendance à se scléroser, à se raccrocher à des rites dont on a perdu la signification. C’est ce que s’emploie à faire le concile de Moscou de 1917, une révolution ecclésiale en son genre, dont les séances seront suspendues par les bolchéviques.
Que représente pour vous l'ultime vernissage de l'icône à Paris ?
Olga Lossky - Un message d’espoir qui chemine au fil des époques, traverse les soubresauts les plus tragiques de l’histoire et ne cesse d’être actualisé par chaque nouvelle génération : si le Christ est descendu au plus profond de notre enfer, c’est pour nous faire don d’une vie nouvelle qui est la vie divine. Les destinées humaines se succèdent, mais à tous Dieu donne la possibilité de s’unir dès à présent à sa mort et sa Résurrection, ce que symbolise l’icône de la Descente aux Enfers.
Propos recueillis par Alain Durel
La révolution des cierges, de Olga Lossky, Gallimard, 2010, 355 pages, 21 €.