ÉRIC ZEMMOUR 05/02/2010 | LE FIGARO. FR
En avançant la procédure de béatification de Pie XII, Benoît XVI a relancé la polémique sur son action pendant la guerre. Mais ce sont toujours les mêmes argum ents qui sont brandis contre lui.
Le cardinal Pacelli n'a pas eu de chance. Son pontificat fut celui des totalitarismes. Pie XII dut affronter les deux monstres nazi et soviétique. C'était son destin. Il n'avait pas été formé pour cela. Il avait été un proche collabo rateur de Benoît XV qui, pendant la Première Guerre mondiale, et en dépit d'une germanophilie évidente, tint la balance à peu près égale entre les deux camps.
C'était un homme du XIXe siècle. Il était le produit d'une école théologique et diplomatique. Il pensa pouvoir renouer avec les habi letés matoises de l'Eglise. Appliquant une politique voulue par Pie XI, il négocia avec Hitler - et essaya de faire de même avec les Soviets - ce que son lointain prédécesseur avait noué avec Napoléon : un concordat. Un compromis qui respecterait l'autorité du pouvoir séculier, mais sauvegarderait les populations catholiques et la pratique du culte. Il n'avait pas tout de suite compris qu'il avait affaire à de nouveaux barbares pour qui les traités n'étaient que des «chiffons de papier».
Pie XII n'était pas de la trempe d'un prophète qui, dans la tradition juive, tonne et fulmine, au nom de Dieu, contre les abus du pouvoir. A un cardinal allemand qui vint lui demander conseil, il répondit : «Le martyre ne se décrète pas depuis Rome.» Il n'avait aucune sympathie pour le Führer, qu'il comparait au diable et tentait même, dit-on, d'exorciser en secret. Il avait été le principal rédacteur, sous Pie XI, de la fameuse encyclique Mit BrennenderSorge, qui avait condamné le nazisme. Mais s'il ouvrait largement les portes du Vatican aux Juifs persécutés, il était également obsédé par la sécurité des catholiques sous la botte allemande. L'appel des évêques hollandais contre les persécutions des Juifs avait provoqué la fureur de la soldatesque nazie contre les catholiques hollandais, et n'avait pas sauvé un seul Juif.
Mais Pie XII combattait sur deux fronts. L'autre grand totalitarisme du siècle le hantait. Pourtant, il se garda bien de tancer les Russes tant qu'ils affrontaient Hitler. Ce n'est qu'après la fin de la guerre qu'il combattit sans relâche le communisme. C'était un combat très délicat à mener. De nombreux catho liques progressistes étaient séduits par la nouvelle Rome. Pie XII finit par condamner les prêtres ouvriers, pour arrêter l'hémorragie vers le Parti. Le communisme était un mil lénarisme sans le dogme ; un universalisme sans Dieu ; un humanisme paradoxal et diabolique qui tenait l'homme pour rien. Une religion de substitution. Pie XII le combattit sans relâche.
Pour ce faire, il encouragea l'édification du Marché commun autour de la France, l'Allemagne et l'Italie, toutes dirigées, dans les années 50, par des démocrates-chrétiens, De Gasperi, Adenauer et Schuman. C'était le temps où gaullistes et communistes vitupéraient de conserve contre «l'Europe vaticane». C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier la création de la pièce Le Vicaire, en 1963. Elle allait changer le destin post hume de Pie XII.
Avant cette pièce, il est l'homme à qui les plus grands dirigeants israéliens, Golda Meir et Ben Gourion, ont rendu hommage. Il est l'ami des Juifs, l'homme qui a osé, même à mots couverts, évoquer le grand malheur juif, là où Roosevelt, Churchill ou de Gaulle n'ont rien dit. Le grand rabbin de Rome, Israel Zolli, se convertit alors au catholicisme et se fait baptiser du prénom d'Eugenio, comme ce Pacelli qui lui a sauvé la vie. Certes, à l'époque, certains Juifs romains en veulent à Zolli, à qui ils reprochent d'avoir accepté l'hospitalité du pape sans se soucier du sort tragique de la communauté juive romaine, raflée par les nazis. Mais personne ne soupçonne Pie XII de collusion avec Hitler, même si certains s'irritent de voir certaines congrégations protéger la fuite de nazis vers l'Amérique du Sud.
Après cette pièce, Pie XII devient, dans l'imaginaire collectif, «le pape d'Hitler».La personnalité de l'auteur de la pièce, l'Allemand Rolf Hochhuth, est fort controversée. On le soupçonne d'avoir été, à l'époque, manipulé par les services secrets de l'URSS. En tout cas, on reconnaît leurs méthodes. Depuis la IIIe Internationale, dans les années 30, la méthode de propagande communiste est toujours la même : pour diaboliser l'adversaire, il faut le traiter de fasciste et de nazi. Pour détruire la tradition chrétienne, il faut la nazifier. Pour faire payer à Pie XII son engagement anticommuniste, il faut l'hitlériser. Pie XII, « le pape d'Hitler », c'est l'équivalent de CRS-SS. En 2002, Costa-Gavras, en fera un film : Amen.
La thèse est solidement installée dans les médias. D'où la campagne virulente lorsque Benoît XVI fait avancer la procédure de béatification de Pie XII. Si la curie romaine croyait échapper au lynchage médiatique en liant cette cause à celle du populaire Jean-Paul II, l'opération est manquée. On s'interroge sur les motivations de Benoît XVI. D'abord, le pape théologien rend hommage à un autre grand théologien, qui a beaucoup inspiré sa jeunesse. Ensuite, surtout, cette béatification entre dans la stratégie au long cours de réconciliation et de réunification de toutes les branches éparpillées par l'histoire du christianisme. Pie XII fut le dernier pape d'avant Vatican II. Lui rendre hommage, c'est honorer la sensibilité traditionaliste dont Benoît XVI a engagé la réintégration dans la famille.