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2 janvier 2011 7 02 /01 /janvier /2011 18:56
Par Anne Vidalie
 


Dans le dernier Etat christianisé d'Europe, le catholicisme s'est mué en
creuset de la résistance nationale à Moscou. Il se cherche aujourd'hui
un second souffle.
Dans la grisaille glacée de l'automne, un maigre cortège chemine
silencieusement à travers le cimetière d'Antakalnis, sur les hauteurs
boisées de Vilnius. Cet après-midi-là, on porte en terre les restes de
dix-huit grognards de Napoléon, morts d'épuisement dans les faubourgs de
la capitale lituanienne pendant la retraite de Russie, en 1812. Frère
Jean-Emmanuel, chasuble blanche et écharpe mauve, bénit la sépulture,
avant de céder la place aux officiels, civils et militaires.
Une fois remisées l'eau bénite et la croix d'argent martelé, ce
représentant de la communauté de Saint-Jean se frotte les mains. "En
2003, les Lituaniens avaient été choqués que 3500 soldats de la Grande
Armée soient enterrés sans cérémonie religieuse, explique-t-il. J'ai
fait valoir à l'ambassade de France que, cette fois, ce serait bien de
prévoir quelque chose." Tant pis pour la laïcité républicaine...
Vingt ans après la mort de la République socialiste soviétique de
Lituanie, on ne plaisante pas, ici, avec les symboles de la foi
catholique. Chaque dimanche, la cathédrale de Vilnius affiche complet,
comme la plupart des églises du pays. Dans les campagnes, aux carrefours
comme en lisière des forêts et des champs, les croix de bois sculpté
bravent de nouveau les intempéries, après cinq décennies d'athéisme
forcené sous la férule communiste.
La colline des Croix, près de Siauliai, haut lieu de la résistance
nationale au communisme.

Pourtant, l'histoire a bien mal commencé entre la Lituanie et l'Eglise.
Au début du XIe siècle, le premier moine à se risquer dans ces confins
païens de l'Europe, Bruno de Querfurt, se fait massacrer sans autre
forme de procès. Piqués au vif par la résistance des Baltes, les
chevaliers Teutoniques et leurs cousins de l'ordre des Porte-Glaive se
mettent en tête de convertir ces irréductibles au fil de l'épée. Mal
leur en prend. "Il était inconcevable pour les tribus qui peuplaient ces
contrées d'accepter la religion que cherchait à leur imposer
l'agresseur", souligne Algirdas Jakubcionis, professeur d'histoire à
l'université de Vilnius. D'expéditions en incursions, la guérilla entre
"soldats de Dieu" et "Sarrasins du nord" durera deux siècles.
D'expéditions en incursions, la guérilla entre "soldats de Dieu" et
"sarrasins du nord" durera deux siècles
Les Lituaniens ont compris que la christianisation est inéluctable s'ils
veulent mettre un terme aux raids teutoniques et gagner leurs galons de
peuple civilisé. Mindaugas, l'unificateur des terres lituaniennes et le
fondateur du grand-duché, embrasse la foi catholique en 1251. Le pape
Innocent IV reconnaît aussitôt cet Etat nouvellement converti, le
mettant ainsi à l'abri des convoitises de ses voisins. Mais la lune de
miel est brève. Douze ans plus tard, Mindaugas meurt assassiné et le
pays retourne au paganisme.
Au fil des décennies, le grand-duché pousse ses frontières en direction
de la Moscovie et de la mer Noire, annexant au passage l'actuelle
Biélorussie et une partie de l'Ukraine et de la Russie. Dans ce
patchwork d'ethnies et de confessions, la foi orthodoxe domine.
Néanmoins, c'est avec la papauté que les contacts reprennent au xive
siècle. "Une conversion à l'orthodoxie n'aurait pas réglé le conflit
avec l'ordre germanique, explique l'historien Darius Baronas. En
revanche, elle aurait entraîné la soumission à Moscou."
En 1386, le grand-duc lituanien Jagellon et ses vassaux acceptent le
baptême. Nobles et paysans les imitent peu à peu, mais les traditions
païennes perdureront dans les campagnes jusqu'au xviie siècle. Décrétée
Etat catholique par le pape Urbain VI en 1387, la Lituanie, dernière
terre christianisée d'Europe, est promue rempart oriental de l'Occident
chrétien. Elle le restera indéfectiblement, au point de faire peu à peu
rimer catholicisme et nationalisme.
Cinquante ans d'athéisme ont laissé des traces
Le paganisme n'est pas mort!

A la tête de la communauté Romuvan Jonas Trinkunas s'emploie à ranimer
la flamme du paganisme.
Jonas Trinkunas, 71 ans, chef de la communauté païenne Romuva, reçoit
devant l'alka (autel familial) dressé dans son salon. Une statuette en
céramique noire de Zemyna, la déesse de la terre, y côtoie des
représentations de Bouddha et du dieu hindou Shiva, un cor et deux
creusets sacrés dédiés à Perkunas, le dieu du tonnerre.
Voilà bientôt cinquante ans que le krivis (grand prêtre) s'emploie à
ranimer la flamme du paganisme, culte officiel de la Lituanie jusqu'au
xive siècle. Avec un succès mitigé. Entre la Lituanie et la diaspora de
Grande-Bretagne, du Canada et des Etats-Unis, Romuva réunirait seulement
quelques centaines de membres. Et elle n'a toujours pas réussi à
décrocher le statut de "culte traditionnel", qui ferait du paganisme
l'égal du catholicisme ou du judaïsme dans ce pays. "Ce sont des
religions importées, alors que la nôtre est à la racine même de notre
histoire, déplore Trinkunas, ancien professeur de philologie chassé de
l'université par le régime communiste en 1971. D'ailleurs, nos
traditions et notre mode de vie sont encore profondément imprégnés de
culture païenne."
Comme leurs aïeux, les Lituaniens du XXI siècle adorent les arbres,
révèrent leurs disparus et célèbrent le solstice d'été. Quand le ciel
gronde, ils disent que "Perkunas se fâche". Et ils donnent volontiers à
leurs filles les noms de divinités païennes telles Gabija (la déesse du
feu) et Austeja (celle des abeilles). "Beaucoup de mes concitoyens se
sont bricolé leur petit syncrétisme personnel, mélange de catholicisme,
de bouddhisme, d'hindouisme et de paganisme", affirme l'historien Darius
Baronas. Une forme d'antidote à tous les totalitarismes...
"Au cours des XIXe et XXe siècles, observe l'historien Liudas Jovaisa,
l'Eglise a joué un rôle central dans le maintien de notre identité
nationale." D'abord, contre le tsar et la religion orthodoxe, lorsque la
Lituanie passe sous la coupe de Moscou en 1795, après le dépeçage de la
République des Deux-Nations - l'union scellée en 1569 entre la Pologne
et le grand-duché - par l'Autriche, la Prusse et la Russie. Ensuite,
contre le "grand frère" soviétique et l'athéisme, quand la petite
Lituanie doit se fondre au sein de l'Union des républiques socialistes
soviétiques, de 1944 à la reconnaisance de son indépendance, arrachée en
1991. La Chronique de l'Eglise catholique en Lituanie, publication
clandestine lancée en 1972 par le père Sigitas Tamkevicius, actuel
archevêque de Kaunas, est alors le porte-voix de la résistance à
l'oppression.
A l'époque, le pèlerinage à Kryziu Kalnas, la colline des Croix, non
loin de la frontière lettone, vaut également acte de rébellion. Les
Lituaniens ont pris l'habitude, après l'insurrection antirusse de 1831,
de planter des croix sur ce tertre herbeux en forme de selle. En avril
1961, le Parti communiste, excédé, donne l'ordre de raser le site. "Les
agents de renseignement du KGB ont recensé la destruction de 2 179
croix", précise Arunas Streikus, spécialiste de l'Eglise catholique de
Lituanie au XXe siècle. Rien n'y fait. Malgré deux nouvelles
interventions des bulldozers, les Lituaniens reviennent obstinément
dresser de nouvelles croix. Vingt ans après le départ des chars
soviétiques, ils continuent. C'est par dizaines de milliers que croix et
crucifix de toutes tailles, de bois ou de métal, nus ou parés de
chapelets, s'élèvent aujourd'hui vers le ciel.
Le cardinal Audrys Backis, archevêque de Vilnius depuis l'indépendance,
n'est pas satisfait pour autant. "La société lituanienne était plus
catholique avant la Seconde Guerre mondiale, regrette ce parfait
francophone, ancien du séminaire Saint-Sulpice, d'Issy-les-Moulineaux
(Hauts-de-Seine). Cinquante ans de domination soviétique et d'athéisme
contraint ont laissé des traces profondes. Beaucoup d'intellectuels ont
émigré. Et deux générations de Lituaniens ont vécu en marge d'une Eglise
qu'il était mal vu de fréquenter, même s'ils ont perpétué les traditions."
Les séminaires, naguère pleins, se vident
Les chiffres lui donnent raison: seuls 49 % de ses concitoyens disent
aujourd'hui croire en Dieu - très loin des Portugais (81 %), des
Polonais (80 %), des Italiens (74 %) et des Irlandais (73 %). Les
séminaires, pleins après l'indépendance, se vident de nouveau. Celui de
Vilnius, qui accueillait alors 60 futurs prêtres, n'en héberge plus que 25.
Mais l'Eglise de Lituanie n'a pas dit son dernier mot. Les jeunes
couples, s'ils veulent convoler devant l'autel, doivent suivre huit
séances de préparation au mariage. Leurs enfants, à l'école primaire,
n'échapperont pas aux cours de religion (catholique, bien sûr). Cette
"reconstruction", selon la formule de Mgr Backis, commence à porter ses
fruits: "Nous voyons des jeunes familles revenir vers nous, se
réjouit-il. Et les interruptions volontaires de grossesse sont tombées
de 50 000 en 1990 à 10 000 l'an dernier."
A l'automne 2010, le Conseil des ministres a soumis au Parlement un
projet de loi permettant aux médecins de refuser de pratiquer
l'avortement si leurs convictions morales s'y opposent. Les députés
doivent aussi se prononcer sur un texte législatif qui définit la
famille comme un homme et une femme unis par le mariage. Deux documents
largement inspirés par la Conférence épiscopale...

A LIRE: Histoire de la Lituanie. Un millénaire, sous la direction d'Yves
Plasseraud. Ed. Armeline. La Lituanie, un millénaire d'histoire, par
Suzanne Champonnois et François de Labriolle. L'Harmattan.  (NDLR et
aussi ne pas oublier le livre de Gilles DUTERTRE: LES FRANÇAIS DANS
L'HISTOIRE DE LA LITUANIE (1009-2009))
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