28 juin 2010
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Ohrid, berceau de l'orthodoxie n'échappe pas à ses fractures spirituels des Balkans. On a même parlé d’une « Jérusalem slave » pour désigner cette cité comptant, selon la légende, « autant d’églises que de jours dans l’année ».
C’est en tout cas l’une des ritournelles de Vesna, 34 ans, vendeuse de souvenirs et d’objets religieux. « Des pèlerins viennent de toute la région pour vénérer les reliques de saint Clément », explique-t-elle en désignant, sur le port, l’imposante statue du protecteur d’Ohrid et de toute la Macédoine (840-916), portant la ville au creux de ses bras.

« Son nom est indissociable d’Ohrid. Clément était l’un des plus éminents disciples des saints Cyrille et Méthode. On lui doit notamment la fondation d’une université – aujourd’hui en ruine – au rayonnement considérable. Nommé évêque, il sera l’un des premiers à comprendre l’importance de célébrer la liturgie en langue vernaculaire », rappelle le P. Jovan Takovski, ancien doyen de la faculté de théologie de Skopje.
Clément d’Ohrid – à ne pas confondre avec saint Clément de Rome – est d’ailleurs considéré par certains historiens comme le véritable inventeur de l’alphabet cyrillique. Il aurait en effet transcrit l’alphabet glagolitique (le plus ancien alphabet slave) créé par son maître Cyrille, en s’inspirant de l’alphabet grec… ce qui fait de lui l’un des pères de l’évangélisation des Slaves.

"Ohrid est le cœur culturel et spirituel du monde slave"

Plus récemment, saint Nicolas Vélimirovitch (1880-1956) a fait à sa manière rayonner le nom d’Ohrid, dont il fut l’évêque : celui qu’on a parfois qualifié de « Chrysostome serbe » a laissé une œuvre grandiose, littéraire et théologique. Prières sur le lac ou Le Prologue d’Ohrid comptent parmi les plus belles pages de la pensée orthodoxe du XXe siècle (1).
« Pour nous, Ohrid est le cœur culturel et spirituel du monde slave, reconnaît Elizabeta Kancheska-Milevska, ministre de la culture macédonienne. Nous avons beaucoup investi dans les fouilles de l’université ou dans la restauration de l’amphithéâtre antique, où se tient depuis deux ans un festival du film français. » Elle n’est pas peu fière d’y avoir accueilli Claude Lelouch ou Charles Aznavour.

Une carte postale idyllique déchirée

D’autant que des divisions internes à l’Église orthodoxe contribuent à déchirer depuis quarante ans cette carte postale idyllique. En effet, l’Église de Macédoine a proclamé unilatéralement son autocéphalie (indépendance) en 1967.
Mais celle-ci n’est reconnue ni par le Patriarcat de Serbie – dont elle dépend – ni par les autres Églises orthodoxes… Historiquement, il existait un archevêché d’Ohrid, mais il fut supprimé par l’Empire ottoman en 1767. En 1913, les orthodoxes de Macédoine furent placés sous juridiction serbe, ce qu’ils n’ont jamais accepté.
Face à leur schisme, Belgrade a choisi, en 2002, de créer un exarchat en nommant son propre archevêque d’Ohrid, Mgr Jovan Vraniskovski, dont les relations avec les autorités civiles et religieuses macédoniennes sont rapidement devenues intenables. Le représentant de l’Église serbe a même été condamné à plusieurs reprises et incarcéré pour « propagation de la haine raciale, nationale et religieuse ».

"L’Église serbe nie notre culture"

« Nous sommes dépassés, reconnaît Sveto Stamemov, journaliste à la radio nationale de Macédoine. Notre Église existe de facto, non seulement en Macédoine mais aussi dans la diaspora. C’est une affaire d’ecclésiastiques, pas de fidèles ! » « L’Église serbe nie notre culture, notre histoire… », tempête de son côté Mgr Timotej, évêque de Debar et Kicevo, plus au nord. L’Église de Macédoine compte 600 prêtres et diacres, 100 moines et moniales, 11 évêques et plus de 3 000 lieux de culte.
La situation peut-elle évoluer ? « Depuis la mort du patriarche Pavle de Serbie, le dialogue est en suspens, mais nous sommes prêts à parler, des rencontres ont eu lieu, espère Mgr Stefan, archevêque d’Ohrid et chef de l’Église dissidente. Ce schisme nous fait honte, car il n’y a aucun problème théologique entre nous, ce sont d’abord des questions politiques. »
Pour Jordan Plevnes, ancien ambassadeur de Macédoine à Paris, il faut bien comprendre que « l’âme du peuple macédonien est meurtrie depuis que l’archevêché d’Ohrid a été aboli ». Notre pays, dit-il, est « une terre de nostalgie de l’union, un pont entre l’Orient et l’Occident ».
François-Xavier MAIGRE
Published by Eglise Orthodoxe de France : Cathedrale St Irenee
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