III. La réflexion théologique.
Tous les exégètes orthodoxes s'accordent pour souligner les rôles très valorisants distribués par Jésus Christ aux femmes dans les Evangiles. A l'époque du Christ, dans la société juive du temps, on ne pouvait les glorifier plus que Lui-même l'a fait. A notre époque, ce sont les conditions sociales qui ont changé. Une femme peut enseigner, être savante ou diriger une entreprise et les écrits patristiques perdent leur actualité dans cette évaluation.
1) On peut résumer l'état de la question en revenant sur la diaconie, les explications anthropologiques et "naturelles" et les exemples d'exercice des différents charismes dans l'église .Mais d'un côté, si dans son article sur les positions patristiques concernant la prêtrise, John Erickson explique que l'on ne trouve rien, chez les Pères qui permette de tirer des conclusions concernant le sacerdoce féminin (12), les Pères mettent toujours en valeur le rôle culturel des prêtres à une certaine époque. Or ce rôle a changé, la culture et l'autorité intellectuelle ne sont plus un privilège masculin. Les fonctions sociales actuelles des femmes, en Occident du moins, leur permettent d'accéder à des postes auxquelles elles ne pouvaient prétendre, à l'époque patristique, au Moyen-Orient.
Le diaconat féminine a sans doute existé dans l'orthodoxie depuis le IIe siècle et jusqu'au XIe à peu près (13). Mais un certain désordre subsiste dans la description qu'en font actuellement les théologiens. Il subsiste un flou désagréable dans la définition même du diaconat : ordre majeur, "ordre mineur "? Dans le texte traditionnel de l'ordination, l'invocation du Saint-Esprit est la même pour les deux, prêtre ou diacre, le moment de l'ordination est, durant la liturgie, avant la grande entrée, ensuite les fonctions diffèrent : le diacre est ordonné pour annoncer l'Evangile, le prêtre pour présider, avec l'évêque, à l'Eucharistie (14) . E. Theodorou semble suggérer que le diaconat féminin était en réalité un service destiné aux femmes et uniquement à elles. On peut même penser que celles que l'on nommait diaconesses étaient en réalité les épouses des diacres, tout comme les prêtresses étaient les femmes de prêtres, etc (15). . On y ajoutait aussi dans certains textes les veuves et les femmes âgées et de grande sagesse et, si le champ de leurs activités était essentiellement la pastorale féminine, alors le clivage se trouve encore pérennisé et les conclusions théologiques sur un possible sacerdoce féminin restent indéfinissables. Les arguments en faveur du renouvellement d'un diaconat féminin peuvent recéler un véritable piège qui consisterait à "ordonner" les femmes dans un "ordre mineur" pour mieux les empêcher d'accéder à tout ordre "majeur".
On constate que le BEM , dans sa 3e section, consacrée au ministère, partie II.C. "le Ministère des hommes et des femmes dans l'Eglise" reste sur des positions très prudentes sur le sujet en disant : "L'Eglise doit découvrir les ministères qui peuvent être exercés par des femmes aussi bien que ceux qui peuvent être exercés par des hommes" , et on lit au § 31, dans la "Fonction des évêques, des presbytres et des diacres": " Les diacres représentent au sein de l'Eglise sa vocation de servante dans le monde " (16). Dans cette évaluation, on voit mal ce que le diaconat apporterait de plus aux femmes : ne sont-elles pas déjà, dans beaucoup de paroisses, les servantes qui organisent, nourrissent, confortent, veillent au côté matériel de la vie paroissiale, jouant de plein gré le rôle de Marthe, tout en assumant entièrement celui de Marie? En ce sens "la théorie des charismes" risque d'engendrer un asservissement supplémentaire et, pour certaines sociétés, une légalisation d'oppression dans l'église, telle qu'elle a déjà été dénoncée (voir plus haut l'analyse de Verna Harrison). D'ailleurs une récente conférence tenue à Moscou sur l'initiative de l'Aide aux Chrétiens de Russie a clairement montré que le diaconat masculin et l'engagement social féminin ne font qu'un dans la réflexion russe sur le sujet. "L'objectif de cette conférence n'était pas d'avoir seulement un débat intellectuel et théologique. C'était aussi une tentative de donner un sens à l'action diaconale et de mieux la cerner pour répondre aux souffrances des hommes" (17) . Tous les articles soulignent avec justesse et équité le travail caritatif accompli par divers groupes d'hommes, diacres ou non, et de femmes, mais il n'est jamais question d'ordination de femmes - diacres.
2) L'argumentation du Métropolite Antoine de Souroje (18) repose sur le récit de la Genèse. L'être humain a été crée homme et femme avant le péché. Il a donc existé une harmonie dans la différence des sexes. C'est le péché qui introduit les conflits et les concepts d'infériorité et de puissance. Et il n'est pas juste que dans le service de Dieu, représenté par le sacerdoce, cette situation conflictuelle soit légitimée. Par conséquent l'harmonie recherchée des sexes ne peut qu'encourager la prêtrise des femmes, comme celle des hommes, au service et à la gloire de Dieu.
Le point de vue défendu par le Père T. Hopko reprend, avec un peu plus de rigueur, les théories de P.Evdokimov (19) sur la maternité hypostatique de Marie. Puisque la femme conçoit par le Saint Esprit, la distinction homme-femme est en quelque sorte hypostatique : l'homme et la femme créés à l'Image de Dieu, le sont avec la différence sexuelle, celle-ci participe donc à l'image de Dieu. L'humanité divisée en deux catégories aux rôles radicalement distincts est à l'image de la Trinité : économie de l'homme par le Christ, économie de la femme par le Saint Esprit. En poussant ce raisonnement on peut, si l'on accepte cette répartition, supposer des formes différentes de salut selon les sexes, et on arrive alors à transposer les catégories humaine à l'intérieur de la Trinité même, ce qui est parfaitement hérétique ! Il faut redire ici ce que répètent si justement plusieurs théologiennes : "l'Eglise est une communion de personnes", non de sexes, de genres ou de hiérarchies.
3) L'histoire de l'Eglise a rapporté les nombreux cas de moniales, abbesses de grands monastères, savantes et fortes et l'on peut s'attendre à un renouveau de cette tradition avec la libéralisation actuelle de la vie religieuse en Russie. La tradition des chefs de choeur-femmes y est très vivante, ce qui n'est pas le cas, toutefois, dans la pratique paroissiale grecque.
4) Pourtant c'est dans le milieu des théologiens éclairés, en Russie ou en Grèce et en Orient que l'on pourrait espérer voir apparaître une véritable réflexion sur la nature même du ministère, qu'il s'agisse du prêtre ou de l'évêque. La valeur iconique du Christ est pour le moment une véritable pierre d'achoppement : lorsqu'on interroge les gens compétents, théologiens et historiens sur la masculinité du prêtre, ils expliquent que le prêtre qui préside à l'Eucharistie représente le Christ et que le Christ s'est incarné homme. La réflexion ne va généralement pas plus loin. Or on sait bien, en écoutant les paroles de l'épiclèse , qui citent les paroles du Christ à la Sainte Cène , que le Christ appelle tous les chrétiens, homme et femme à y participer et s'Il le fait par l'intermédiaire du prêtre-homme, c'est qu'à la Sainte Cène non plus les femmes n'étaient pas présentes au repas ( peut-être étaient elles aux cuisines !). Toutefois à la Pentecôte, la Sainte Vierge était présente et, comme tous les apôtres, elle a reçu l'Esprit Saint. Notre salut passe par la Résurrection du Christ, né de la Vierge, et tous hommes et femmes, nous y sommes appelés. Si l'on pense que le prêtre ne peut-être qu'un homme parce qu'il représente le Christ à l'Eucharistie, ne peut on aller plus loin et se dire que le Christ qui est venu pour sauver les hommes et les femmes les représente tous dans son humanité ? La question est difficile et je ne trouve pas que l'on ait beaucoup approfondi ce point, alors que dès le début des discussions sur le sacerdoce féminin, l'on s'est demandé pourquoi le Christ avait choisi l'homme pour incarner la nature humaine.
Le texte du BEM assez précis sur ce sujet ne fait pas vraiment l'unanimité des Orthodoxes. On y lit, dans la partie consacrée au Ministère, au § 17 "Jésus Christ est l'unique prêtre de la Nouvelle Alliance. Il a donné sa vie en sacrifice pour tous. D'une manière dérivée, l'Eglise toute entière peut être décrite comme un sacerdoce." Et plus loin :"Les ministres ordonnés participent, comme tous les chrétiens à la fois au sacerdoce du Christ et au sacerdoce de l'Eglise." Et le commentaire ajoute :"Le Nouveau Testament n'utilise jamais les termes "sacerdoce" ou "prêtre" (hiereus) pour désigner le ministère ordonné ou le ministre ordonné. Dans le Nouveau Testament, ces termes sont réservés d'une part à l'unique sacerdoce de Jésus Christ et d'autres part au sacerdoce royal et prophétique de tous les baptisés" (20)
Pour conclure, il faut insister sur le texte de St Paul, "il n'y a ni Juifs ni Grecs, ni hommes ni femmes", qui appelle l'être à une nouvelle lecture de l'histoire et de nos réalités quotidiennes actuelles à la lumière du message du Christ et de sa Résurrection.