En ce Dimanche des Rameaux, également jour du passage à l’heure d’été pour les écosensibles que nous sommes, je me suis laissée aller à quelques rêveries à propos de notre calendrier occidental, un calendrier solaire dont les chars de feu d’Apollon et du Prophète Elie, mais surtout le Christ «soleil de Justice» (Mal 4, 2), ont été les plus éclatants symboles.
Cette année en effet, l’Eglise orthodoxe ne fête pas seulement Pâques en même temps que les Eglises catholique et protestante. Elle retient aussi le 4 avril pour sa célébration. Il s’agit de la date la plus haute possible pour le comput orthodoxe, qui fixe nécessairement cette fête dans une période commençant le 4 avril et s’achevant le 8 mai. On précisera que cette période s’étend du 22 mars au 25 avril pour les catholiques.
Ainsi, dans notre 21e siècle, Pâques ne tombera un 4 avril qu’une seule fois: dans une semaine. Espérons avoir ainsi rassuré tous ceux qui souhaitent passer leurs congés à la plage… En 2011, les orthodoxes fêteront Pâques le 24 avril.
Mais cette bonne nouvelle n’est pas la seule. En 2010, nous avons assisté à un autre phénomène, celui de la simplicité de la fixation de cette fête capitale pour la chrétienté.
Pour une fois, aucune Eglise n’a été amenée à se livrer à des ajustements calendaires pour concilier les exigences de la règle énoncée par le Concile de Nicée (325) aux variations infligées par l’épacte, le nombre d’or ou la lettre dominicale.
On connaît les instructions de Nicée au sujet de la fixation de la date de Pâques:
Pâques est le dimanche qui suit le quatorzième jour de la Lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après.
D’ailleurs, si la pleine lune tombe un dimanche, Pâques sera célébré le dimanche suivant. Cette règle supplémentaire a été fixée pour éviter la coïncidence de la Pâque juive (fêtée à la pleine lune suivant l’équinoxe de printemps) avec la fête chrétienne.
Or, cette année, la situation a été la suivante :
• L’équinoxe du printemps a eu lieu le 20 mars à 17h33 TU, ce qui ne perturbe pas la date de l’équinoxe ecclésiastique fixé par Nicée au 21 mars.
• La pleine lune suivant l’équinoxe aura lieu le 30 mars à 2h25 TU. Ici aussi, la pleine lune des astronomes coïncide, fort heureusement, avec lalune ecclésiastique des différents computs. De surcroît, le 30 mars n’est pas un dimanche, mais un mardi.
On célébrera donc très simplement Pâques le dimanche suivant, soit le 4 avril. Une fois n’est pas coutume, le soleil de justice brillera sans dissensions en 2010.
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Pour compléter ces remarques, je reproduis ci-dessous une notice que j’ai rédigée il y a quelques années à ce sujet:
CALENDRIER CHRETIEN
La conception chrétienne du temps place le moment de la Résurrection au centre de l’histoire humaine. Présent absolu, ce «jour glorieux», cette «fête des fêtes» définit le début et la fin du temps eschatologique en assumant en lui-même le passé et le futur. Dans la finitude de l’histoire du salut, ce moment dans lequel l’éternel et le temporel se rejoignent fait l’objet de représentations cycliques qui conduisent à le célébrer comme un mystère récurrent. Pâques occupe ainsi dès les débuts du christianisme le centre de l’année liturgique, entraînant tout un cortège de fêtes mobiles, ou temporal (Ascension, Pentecôte…), renouvelé tous les ans. De même, le dimanche, «huitième jour» et «lendemain» du Sabbat, vient cycliquement signifier la Rédemption. En 321, il devient officiellement jour de repos.
Se développant sur la semaine et l’année, le culte chrétien délaisse le calendrier lunaire pour un calendrier solaire. Seul le calcul de la fête de Pâques est commandé par un calendrier luni-solaire, par réminiscence à la Pâque juive. En raison de la variété des principes qui le régissent, ce calcul a fait l’objet de controverses, résolues au Concile de Nicée (325), qui fixa Pâques au premier dimanche suivant la pleine lune postérieure à l’équinoxe de printemps, et donna à l’évêque d’Alexandrie le droit exclusif de calculer et d’annoncer cette date à la chrétienté.
Jusqu’en 1582, la base du calendrier chrétien resta l’année solaire romaine, instituée en 45 av. JC par Jules César. Le calendrier julien, le plus fiable de son temps, compte 365 jours et 1/4. Il prolonge la durée des mois à 30 ou 31 jours, introduit l’année bissextile, place le jour de l’an au 1er janvier et délimite les saisons en fixant les solstices et équinoxes au 25 mars, 24 juillet, 24 septembre, 24 décembre. Quatre fêtes fixes majeures reprennent ces dates: la Nativité, qui régit le sanctoral occidental, l’Annonciation, fondement du cycle marial, ainsi que deux fêtes liées à saint Jean-Baptiste. Le calendrier julien se répandit en Occident sans obstacle. En Orient, il donna lieu au calendrier byzantin qui reporte le début de l’année au 1er septembre et renonce à désigner les jours du mois selon les calendes, ides et nones, retenant le nombre ordinal. Ce calendrier coexista avec d’autres calendriers orientaux, et passa aussi dans le monde slave.
Aussi commode fut-il, le comput julien marquait une avance de 11mn 14 s. par an sur l’année tropique, soit un jour tous les 128 ans. Ainsi, en 325, l’équinoxe du printemps était déjà passé du 25 au 21 mars. Une rectification fut demandée auprès des autorités ecclésiastiques dès le XIIIe s., et même discutée au Concile de Florence (1439). La réforme fut entreprise sous le pontificat de Grégoire XIII (1572-1585; Bulle du 24 février 1582). Elle supprima trois jours bissextiles tous les quatre siècles, à savoir ceux des années centenaires dont les deux premiers chiffres ne formaient pas un nombre divisible par quatre. Par fidélité à Nicée, l’équinoxe du printemps qui était passé au 11 mars fut fixé au 21 mars.
Prenant immédiatement effet en Italie, en Espagne et au Portugal, puis en France et Pologne, ce nouveau comput ne fut pas adopté sans difficulté dans le reste de l’Europe, en raison de son caractère catholique. Dans les pays protestants, la résistance fut longue: l’Allemagne, où les deux calendriers coexistèrent pendant plus d’un siècle, et la Suisse s’inclinèrent en 1700, l’Angleterre et la Suède en 1752. Dans l’orthodoxie, un intérêt pour le comput grégorien s’était manifesté durant le patriarcat de Jérémie II Tranos (1572-1595), mais on renonça à cette «innovation» par crainte des schismes. Dans les années 1920, les patriarcats de Constantinople, Alexandrie et Antioche, de Roumanie et de Bulgarie, opérèrent seuls le passage au calendrier grégorien, ce qui donna lieu à la sécession de partis «paléocalendaristes». Les patriarcats de Jérusalem, Moscou, Georgie et Serbie, ainsi que le Mont Athos, maintiennent encore le calendrier julien. Pour ces Eglises par ailleurs en communion, il s’agit là d’un décalage gênant, dont la solution reste à trouver. Afin que Pâques et les fêtes mobiles soient célébrées simultanément, un calendrier mixte est suivi dans les églises «néocalendaristes». Ainsi, le décalage, actuellement de 13 jours, ne concerne que les fêtes fixes.
Communément adoptée aujourd’hui, l’ère chrétienne, qui démarre l’année supposée de la naissance de Jésus-Christ (anno domini), a été établie en 532 par Denys le Petit. Ne reflétant pas l’idée mystique selon laquelle la durée du monde doit correspondre aux six jours de la Création, elle a été d’un usage limité au Moyen-âge. A Byzance, où la datation depuis la Création est la plus courante, et où l’indiction (position de l’année dans un cycle de 15 ans) reste une référence, elle est ignorée jusqu’au XIe s. En Occident, elle est souvent employée par les chroniqueurs médiévaux, mais elle ne s’impose dans la pratique qu’à partir de 1431.
Illustrations: Le Prophète Elie sur son char. Détail d’une icône russe. — La pleine lune au-dessus du Monastère des Grottes, Kiev, Ukraine.
source : http://graecorthodoxa.hypotheses.org/