ANNEXE I
Le contexte historique de l’Eglise orthodoxe en Russie et en U.R.S.S. (1917-1950)
A partir du début du18e siècle, l’Eglise orthodoxe russe fut asservie au pouvoir impérial : en 1721, Pierre le Grand supprima le Patriarcat et institua un synode d’évêques pour gouverner l’Eglise, au sein duquel siégeait en permanence son représentant, le « procureur général », qui en fait contrôlait l’Eglise pour le tsar. Le chef de l’Eglise russe était, nominalement, le Métropolite de Moscou.
En 1917, entre la révolution de février (mars) et celle d’octobre (novembre) l’Eglise profita de cette liberté pour réunir un concile, qui rétablit le Patriarcat et élit patriarche le Métropolite Tikhon de Moscou. Dès l’arrivée au pouvoir des Bolchéviks, avec Lénine, la persécution religieuse commença (de même que la guerre civile entre les « Rouges » et les « Blancs »). Le Concile de Moscou sera expulsé par les communistes en septembre 1918 et donc contraint d’arrêter son travail de renouvellement de l’Eglise.
En novembre 1920, le Patriarche Tikhon autorisait les évêques russes de l’étranger à constituer temporairement des organisations indépendantes, en raison de l’impossibilité d’avoir avec eux des relations normales. En 1921, un synode d’évêques russes émigrés se réunit en Serbie1, à Karlovtsy2 autour du célèbre Métropolite Antoine de Kiev3. Mais les évêques réunis outrepassent les questions proprement religieuses et appellent au retour des Romanov (Nicolas II et toute sa famille avaient été assassinés par les Bolchéviks, le 16 juillet1918). Le 22 avril 1922, le Patriarche Tikhon, contraint par les Soviétiques, ordonne la dissolution du synode de Karlovtsy, ce que les évêques acceptent formellement.
Mais ils le reconstituent peu après. Après la victoire définitive des communistes en 19224, la persécution se déchaîne : le Métropolite Benjamin de Petrograd5 est exécuté. Pendant que les communistes persécutent, une Eglise parallèle se constitue : « l’Eglise vivante »6, Eglise progressiste soutenue en sous-main par le pouvoir soviétique, qui espère ainsi affaiblir l’Eglise orthodoxe en la divisant. Le Patriarche Tikhon est arrêté en 1922, puis relâché en 1923. Il luttera courageusement contre les communistes, tout en essayant de trouver une voie médiane pour que l’Eglise puisse survivre, et contre l’Eglise vivante, pour empêcher la division de l’Eglise. Mais finalement il est « hospitalisé » et empoisonné : il meurt le 15 mars 1925(7). Il aurait rédigé une déclaration de loyauté vis-à-vis de l’Etat soviétique avant de mourir : beaucoup en ont contesté l’authenticité, mais les archives semblent le confirmer.
Son successeur désigné, le métropolite Pierre de Kroutitsy8 devient le locum tenens (en attentant un concile), mais il est déporté aussitôt. Il est remplacé par le Métropolite Serge9 de Nijni Novgorod, qui sera qualifié du titre étrange et redondant de « remplaçant du locum tenens » (parce qu’un locum tenens doit être désigné par l’ancien patriarche -lorsque les circonstances le permettent- et confirmé par un Synode : il gère les affaires courantes en attendant l’élection d’un patriarche. Dans le cas de Serge, c’était simplement un état de fait). Serge est plusieurs fois emprisonné, et notamment de décembre 1926 à mars 1927, où les Soviétiques s’efforcent de le « conditionner ».
En 1927,il conclut une sorte de concordat avec le gouvernement soviétique (la « Déclaration du 16 juillet 1927 ») et obtient une « autorisation de fonctionnement d’un Synode d’évêques » à condition qu’il n’y ait aucune attitude anti-soviétique, tant en Russie qu’à l’étranger. Mais, néanmoins, l’Etat soviétique interdit l’élection d’un nouveau Patriarche. Le Métropolite Serge écrit alors à tous les évêques russes à l’étranger pour leur demander un engagement personnel écrit de ne rien faire qui puisse être pris pour une déloyauté envers le gouvernement soviétique.
Le Métropolite Euloge, à Paris, est l’exemple même du cas de conscience d’un évêque russe de l’étranger à cette époque. Il avait fait partie du Synode de Karlovtsy et avait été envoyé par lui à Paris comme Archevêque pour l’Europe occidentale. Mais il avait aussi demandé la bénédiction du Patriarche Tykhon, qui l’avait confirmé : en Janvier 1922, il sera élevé au rang de Métropolite. Il gardait des relations simultanément avec les deux structures ecclésiales, parce que la situation était difficile et complexe. En 1926 il rompt avec le Synode de Karlovtsy, qu’il trouve trop engagé politiquement. Il signe donc l’acte de loyauté demandé par Serge, tandis que les « karlovtsiens » le rejettent. Le Métropolite Serge interdit le Synode de Karlovtsy, qui prit alors son indépendance : ce sera la naissance de l’Eglise Russe Hors Frontières, dont le Métropolite Antoine sera le chef (après le 2e Guerre Mondiale : ils se transporteront à Münich -territoire sous contrôle américain, alors que la Yougoslavie devenait communiste- puis, en 1949, ils s’installeront définitivement à New-York). Euloge est confirmé dans ses fonctions, mais ses relations avec Serge sont tendues.
A cette époque, il y avait régulièrement en Occident des manifestations contre les persécutions religieuses en URSS, qui embarrassaient le gouvernement soviétique mais causaient souvent un surcroit de persécution à l’Eglise. En Janvier 1930, le pape Pie XI lance un grande « croisade de prières » pour les victimes des persécutions en URSS : elle aura une audience considérable. En février 1930, le Métropolite Serge se fait piéger par les services secrets soviétiques : ils écrivent un texte dans lequel il est dit qu’il n’y a pas de persécution de l’Eglise en URSS et ils lui font signer, alors qu’il est tenu à l’isolement. Puis les Soviétiques communiquent ce texte discrètement à un journal français qui le publie10. Cela provoque un tollé d’indignation en Europe Occidentale et en Amérique du Nord. Le Métropolite Euloge se laisse alors entraîner dans une grande manifestation œcuménique à Londres, où il prend part à une célébration à Westminster en faveur des Chrétiens persécutés de Russie. Le 11 juillet 1930, il fut démis de ses fonctions par Serge de Moscou, ce qui fut confirmé le 6 janvier 1931 (Euloge était interdit). Il en appela alors au Patriarche Photius II de Constantinople, qui le reçut dans sa juridiction le 17 février1931. C’est à l’origine de l’Archevêché russe du Patriarcat de Constantinople (la « rue Daru »).
Les persécutions continuèrent en URSS : ce fut un véritable holocauste. En 1940, il ne subsistait que quelques centaines d’églises paroissiales sur 70 000 et seulement 4 évêques ; 40 000 prêtres et plus de 600 évêques avaient été assassinés, 40 à 60 millions de fidèles avaient péri. Il n’y avait plus aucun monastère, aucun séminaires ni école de théologie, aucune publication 11.
Malgré tout cela, en avril 1934, un Synode accorda au Métropolite Serge le titre de « Béatitude », ce qui était l’équivalent d’une reconnaissance de son patriarcat (mais il n’était pas intronisé).
Un grand changement se fera après juin 1941 et les terribles défaites de l’Armée rouge infligées par l’armée allemande. Staline avait besoin de l’Eglise pour mobiliser le patriotisme russe. Il libéralisa l’Eglise, qui commença à se reconstituer. Le 4 septembre 1943 il y eut unerencontre entre Staline et les hiérarques (le Métropolite Serge, le Métropolite Alexis13 -futur patriarche- et le Métropolite Nicolas –futur adjoint d’Alexis). Le 8 septembre 1943, un concile de 19 évêques se tînt à Moscou : Serge fut élu patriarche (et intronisé le 12 septembre). Mais il mourut peu après, le 15 mai1944. Un concile se réunit le 31 janvier 1945 et élit Alexis Patriarche (intronisé le 4 février 1945). Il sera patriarche jusqu’en 1970. Son adjoint sera le métropolite Nicolas de Kroutitsy, qui jouera un grand rôle dans les affaires occidentales, d’abord positif puis négatif.
(1)En fait, dans la nouvelle Yougoslavie, créée en 1919-1920.
(2)L’Eglise serbe a rétabli son Patriarcat en 1920 (Le Patriarcat de Peḉ avait été supprimé en 1766 par les Turcs
Ottomans sur la suggestion de Constantinople). La ville de Karlovtsy venait d’être récupérée sur la Hongrie : elle deviendra le siège du Patriarcat serbe.
3) C’était un évêque remarquablement intelligent et un grand liturge : tout le monde pensait qu’il serait élu patriarche en 1917. Il était apparenté aux Kovalevsky.
(4) Les « Blancs » sont vaincus en 1922. L’URSS est constituée en décembre 1922 (y compris l’Ukraine et les républiques du Caucase). Il y a une terrible famine d’août 1921 à février 1922. Lénine mourra en 1924 : Staline lui succèdera.
(5) Nom donné à Saint-Pétersbourg en 1914 pour le russifier.
(6)Créée en mai 1922, elle durera jusqu’en 1946.
(7) Il sera canonisé (fête le 25 mars).
(8) Le Métropolite de Kroutitsy est le 2ème personnage de l’Eglise russe, une sorte d’adjoint du Patriarche.
(9) Le Métropolite Serge avait adhéré en1922 à l’Eglise vivante, parce qu’il avait été trompé (on lui avait montré un texte en sa faveur, soi-disant signé par le Patriarche, mais c’était un faux). Il fera pénitence publiquement et sera réintégré dans ses fonctions.
(10) Mémoires du Métropolite Euloge, Paris, Saint-Serge, 2005. Il est un des rares à dire la vérité sur cette question épineuse, qui a déchiré les Russes. LeMétropolite Serge a été accablé et considéré comme un traître par beaucoup de russes émigrés et même par certains orthodoxes en URSS. Pourtant, il fut un évêque simultanément pragmatique (sauvant ainsi l’Eglise russe) et prophétique, bénissant l’œuvre missionnaire de la Confrérie Saint-Photius et du P.Eugraph. Vladimir Lossky parle toujours de lui en l’appelant « le béatissime Serge de Moscou ». L’histoire lui rendrajustice.
(11)Histoire de l’Eglise russe, Nouvelle Cité, 1989. Cette partie est écrite par Dimitri Pospielovsky.
(13) Comme Serge, il avait été membre de l’Eglise vivante pendant un temps.
Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale
- Université d’été 2013-