Saint Jean de Saint Denis
Alors, direz-vous, ou est le péché ? Comment dans ce contexte évaluer le péché ? Hélas, c’est la très grande difficulté. Il ne faut pas opposer nécessairement la notion du pèche a celle de la légitimité, ni accepter comme péché ce qui est illégitime. Ces deux problèmes nous poussent éternellement a la recherche de l’équilibre. Votre cheminement spirituel (je ne dis pas «vocation», car le cheminement spirituel est si curieux et si inattendu) peut rompre avec les normes ou avec les conflits. Saul devient Paul ; un saint peut devenir criminel. Dieu peut s'atteindre par des cheminements détournés.
Certains évènements de notre vie, sans raison pour les autres, sont définitifs pour nous. Que de fois des chutes conduisent vers la lumière ! L'unique moyen de dépister cette forme d’hypocrisie, de compromis, sans aucune restriction, c'est de tout abandonner : si vous voulez me suivre, abandonnez votre père, votre mère, vos biens, dit le christ ; autrement nous traverserons une vie de compromis entre la norme et la conscience. Ainsi, comment un père de famille pourra-t-il préserver son autorité vis-à-vis de son fils, si ce dernier commet une mauvaise action semblable a celle que lui aussi a commise dans sa jeunesse ?
Pourra-t-il être vraiment sincère et confier a son enfant : «j'ai agi comme toi», sauf si ce mal lui parait pédagogiquement préférable ? Notre position sociale nous contraint - parce que membres de la société- a un comportement plus ou moins étranger a ce que nous ressentons ; et la fonction normative nous oblige déjà a supporter des dualités. L'Evangile nous enseigne alors : celui qui désire avancer doit tout abandonner.
Pourquoi est-ce que je parle ainsi ? Est-ce prêcher l'amoralité ? - non. La confession vraie est l’écartement de toutes les illusions. Rien n'est aussi nuisible que de s'imaginer supérieur a ce que l'on est, de se complaire en son propre mythe. Nous sommes des enfants de lumière et de vérité, non seulement de la vérité transcendante de la Trinité, mais de la vérité sur nous-même, sur ce qui se passe en nous. Je vous l'affirme, considérons lucidement notre vie, et nous dépisterons aussitôt la dualité du monde intérieur et du monde extérieur, avec les apparences qu’il faut souvent savoir garder
- ici je m'adresse aux anticonformistes, ceux qui se révoltent contre tout, surtout les jeunes gens qui inconsciemment s'inscrivent... Dans d’autres normes, influences par la foule des autres jeunes.
Aucune vie personnelle et sociale ne peut actuellement se maintenir sans défaillance. Elle sera toujours limitée par la société qui la pliera a certaines exigences. Cela ne signifie nullement - malgré cette relativité - l'impossibilité de progresser ! C'est l'hypocrisie que blâme l'Evangile : «malheur a vous, scribes et pharisiens hypocrites !» (mt 23, 13). Ces paroles du Christ s'adressent a des êtres ne vivant que pour les apparences. On ne peut être entraveé dans la progression intérieure si l'on reconnait lucidement la dualité agissant dans le monde. Que voyons-nous en cette dualité ? La vocation unique de tout homme n'a qu'un but : Dieu. Nous sommes créés pour devenir nous-mêmes des Dieux : voici l'absolu ! Auprès de cet absolu s'en élève un autre : chacun de nous est un membre du corps de l'humanité. Certes, les formes normatives les mieux organisées sont limitatives ; toutefois, en les respectant, nous respectons les autres et nous nous inscrivons dans le corps. Pourquoi devons-nous respecter ces règles en dehors des nécessites sociales ? Par respect, par simple respect de ceux qui vivent en leur sein.
Ces normes - si on les comprend bien - unissent et provoquent le dynamisme dans la dualité de notre être. Qu'est-ce a dire ? Il faut continuer notre évolution personnelle vers Dieu, avancer de plus en plus et, parallèlement, penser au respect des autres qui s'exprime dans le respect des lois de la société, du milieu ou nous vivons, dans les règles canoniques. Ayons conscience que nous sommes membres d'un seul et même corps.
Ce déséquilibre, cette prétendue imperfection apparaitront comme le point de départ de la conquête de la vie trinitaire. Prenons garde ! Si nous disons que la vie personnelle est supérieure a la vie normative et sociale, nous voterons pour la personne absolue et la Trinité sera brisée. Acceptons, mes amis, le conflit entre la conquête de la personne et le respect des normes. Que ce conflit demeure !
Spirituellement, il est dynamique. Voulez-vous diriger votre vie spirituelle ? Saisissez alors lucidement ces deux opposés. Perfectionnez les deux, discernez au sein de ce conflit si ce ne sont pas notre petite vanité, notre orgueil et notre égocentrisme qui se révoltent contre les normes, plutôt que notre personne, et nous nous trouverons devant deux conflits imprégnés de parasites et non devant deux conflits abstraits. Notre premier effort n'est point de les dresser l'un face a l'autre mais de découvrir attentivement (s'il y a lieu) l'impureté des motifs qui nous font, brusquement, rejeter les règles et qui sont fréquemment des formes de lâcheté.