L’homme est sauvé par la communion à la vie divine dans la nature humaine du Christ, communion qui s’obtient par l’amour du prochain ; mais "là où il y a des divisions et de la colère, Dieu n’habite pas" (Aux Phila. 8). "Celui qui aime pas son frère demeure dans la mort… Et c’est ici son commandement : que nous croyions au nom de Son Fils Jésus Christ, et que nous nous aimions les uns les autres, selon le commandement qu’il nous a donné. Celui qui garde Ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et nous connaissons qu’Il demeure en nous par l’Esprit qu’Il nous a donné" (1 Jn 3, 14 et 23-24). C’est pourquoi, "fuyez les divisions, comme la source de tous les maux" (Smyr. 7). "Frères, ne vous égarez pas. Quiconque suit l’initiateur d’un schisme dans l’Église n’héritera pas le Royaume de Dieu" (Phila. 3).
La participation à l’amour de Dieu dans l’union mutuelle, qui fait réellement communier à la vie divine, peut s’affaiblir, voire disparaître, si l’homme ne prend pas assez garde aux voies de Satan. "Fuyez donc les artifices et les pièges perfides du prince de ce monde, de peur qu’oppressés par sa volonté, vous ne faiblissiez dans votre amour" (Phil. 6). "Ne vous laissez pas oindre de la mauvaise odeur des enseignements du prince de ce monde ; qu’il ne vous entraîne pas captifs loin de la vie qui vous offerte" (Aux Eph. 17). " Car il y a beaucoup de loups (des hérétiques qui arrachent les plus faibles et les entraînent hors de l’Eglise), apparemment dignes de foi, qui, par l’appât d’un plaisir pernicieux, ravissent ceux qui couraient vers Dieu : mais dans votre unité ils n’auront aucune place" (Phila. 2).
L’unité mutuelle des chrétiens dans l’amour du Christ empêche la victoire de Satan, puisque l’amour est le Sang du Christ et la vie éternelle par lesquels le diable est détruit.
"Prenez donc soin de vous réunir plus souvent ensemble pour rendre grâces à Dieu et manifester sa louange. Car, lorsque vous vous assemblez fréquemment dans le même lieu (epi to auto), les forces de Satan sont détruites et sa fureur exterminatrice se brise sur l’unanimité de votre foi" (Aux Eph. 13). "Que personne ne s’abuse lui-même : si quelqu’un n’est pas à l’intérieur de l’autel (lieu de sacrifice), il est privé du pain de Dieu… Celui donc, qui ne se rend pas au lieu désigné (epi to auto), a déjà manifesté son orgueil et il s’est condamné lui-même "(Aux Eph. 5). "Celui qui est à l’intérieur de l’autel (lieu de sacrifice) est pur, mais celui qui est à l’extérieur n’est pas pur" (Tral. 7).
L’Église visible –l’Église visible et l’Église invisible constituant, pour Ignace, une seule et même réalité- se compose ainsi des fidèles baptisés qui font une guerre intense contre Satan et contre les conséquences de son pouvoir enraciné dans la mort ; et ils la mènent grâce à l’unité de leur amour mutuel ancré dans la nature humaine et vivifiante du Christ ; enfin, ils manifestent cette unité et cet amour dans l’Eucharistie concrète en laquelle leur vie même et leur salut prennent source. En d’autres termes, l’Église a deux aspects positif –l’amour, l’unité, et la communion d’immortalité des uns avec les autres et avec les saints, dans le Christ ; et un aspect négatif –la guerre menée contre Satan et ses puissances, déjà vaincus dans la Chair du Christ par ceux qui vivent en Christ au-delà de la mort et qui attendent la seconde et universelle résurrection, la victoire totale et définitive de Dieu sur Satan. La christologie est l’aspect positif de l’Église, mais elle est conditionnée par la démonologie biblique, qui est la clé de sa juste compréhension et le facteur négatif dont dépendent à la fois la christologie et l’ecclésiologie. Ces dernières, en effet, restent inintelligibles sans une connaissance exacte du travail et des méthodes de Satan. "C’est dans ce but que le Fils de Dieu s’est manifesté : pour détruire les œuvres du diable" (1 Jn 3,8).
De ce double aspect, il résulte assez clairement que le baptême n’est pas une garantie magique contre la possibilité de retomber esclave du diable et donc d’être exclu du Corps du Christ (1 Cor. 5, 1-13 ; 2 Thess. 3, 6-14, 2 Tim. 3,5 ; Rom. 11,21 ; " ne soyons pas donc trop confiants sous prétexte que nous sommes une fois devenus membres de ce Corps" dit saint Jean Chrysostome, 3ème Homélie sur l’Épître aux Éphésiens, 4.). L’amour désintéressé, condition sine qua non du salut (1 Cor. 13,1 sqq), n’est pas une chose qui puisse s’acquérir par une simple décision intellectuelle ; ni par la conviction psychologique qu’on est devenu l’objet d’une grâce irrésistible et désormais prédestiné. Au contraire, le véritable amour non-utilitaire et désintéressé, ne peut se former chez les fidèles que par la puissance de la mort et de la résurrection du Christ, grâce à un intense effort d’abnégation dans la lutte spirituelle et une guerre totale contre Satan.
De ce côté-ci de la mort, le Corps du Christ est l’Église de la Pâque (du Passage), traversant continuellement la Mer Rouge et échappant constamment aux forces de Pharaon (le diable), par sa participation à la mort et à la résurrection du Christ epi to auto. A chaque Eucharistie, le peuple élu, la Nouvelle Sion, se rassemble triomphalement le long de la Mer Rouge, sur la rive opposée à celle de Pharaon et glorifie Dieu pour le salut déjà accordé, dans l’attente de la victoire finale. Sur la difficile et dangereuse route de la Terre Promise, de dimanche en dimanche et de jour en jour, chacun peut tomber entre les mains de Satan et être coupé du Corps du Christ. A chaque réunion epi to auto, par le moyen de l’Eucharistie célébrée fois après foi, le Corps du Christ, l’Église qui se trouve de ce côté-ci de la mort, se constitue graduellement –le Verbe fait Chair se forme progressivement dans les fidèles par le Saint Esprit (1 Jn 3,23-24), et ainsi l’Église, quoique déjà Corps du Christ, ne cesse de devenir davantage ce qu’elle est.
Père Jean S. Romanidès