Nous croyons trop souvent que Dieu n'écoute pas nos questions, c'est nous qui n'écoutons pas ses réponses", avertissait François Mauriac. Questions et réponses, mais aussi, car telle est la foi que Pascal a si bien définie, questions sans réponses. Par-delà ce mystère, la chrétienté est une épopée humaine, une longue aventure riche d'idées, de fautes et de merveilles, où brille le sang versé par l'Inquisition autant que la lumière de l'aube frappant la rosace d'une cathédrale. C'est cette histoire que L'Express vous présente, dans un dossier de 100 pages rédigé avec le concours des meilleurs spécialistes. 

La chrétienté, aujourd'hui, traverse des mers d'inquiétude sur un esquif plus fragile que l'Arche de Noé. Dans l'Orient proche ou lointain, comme en maints endroits de ce que l'on appelle le "Sud", les chrétiens sont rejetés, oppressés, persécutés. Carnages en Irak ou terreur en Egypte prouvent que le martyre est, deux mille ans après les lions du cirque romain, toujours au bout de la foi pour de nombreux croyants. Un silence de sépulcre accompagne cette oppression rampante et le christianisme, vite stigmatisé quand il est la religion des bourreaux, n'a guère droit, quand il est le credo des suppliciés, à la compassion des bonnes âmes ou à l'indignation des droits-de-l'hommistes. Sans conteste, il est plus facile de pratiquer une autre religion dans un pays chrétien que d'être chrétien dans un pays qui ne l'est pas. 

Le sort des chrétiens d'Occident, pour être moins tragique, n'est pas à envier non plus. Nos sociétés cultivent l'incertitude et, quand nous levons les yeux pour interroger le ciel, nous voyons planer sur nos destins un nuage de doute dont l'ombre est nos ténèbres. Les croyants sont brocardés par les avant-gardes, soupçonnés de tous les archaïsmes ; et si les générations montantes cherchent des valeurs nouvelles dans la vase de la modernité, après le tsunami libertaire des décennies passées, leur néomorale n'est pas évangélique.  

Les chrétiens, s'ils ne vivent leur foi en apnée, invisibles, doivent nager à contre-courant dans le "main stream" matérialiste et "cool" de ce début de siècle. Pis, tous peuvent se moquer d'eux à qui mieux mieux, jusqu'à l'injure, sans que les censeurs lèvent le sourcil, tandis qu'au moindre trait contre une autre religion on est frappé d'infamie. C'est le lot des pensées dominantes, certes, qu'il faut malmener tandis que l'on protège les minorités -et le pape actuel n'est pas toujours le meilleur avocat de ses ouailles. Mais il se développe parfois dans les pays riches, notamment en France, une nouvelle barbarie, qui s'attache à renier l'héritage judéo-chrétien, socle de notre civilisation. 

La laïcité n'est pas négociable en notre République, dont les enseignants sont l'inaliénable clergé. Néanmoins, la grandeur laïque est d'offrir à chacun la liberté d'épanouir sa foi sans craindre l'ostracisme ni le mépris. Les politiques n'ont pas à esquisser le moindre prosélytisme, mais ils doivent garantir au peuple que les chemins de la spiritualité sont sans chausse-trapes. Et les chrétiens, face au dogme sceptique, peuvent s'amuser en méditant un autre mot de François Mauriac: "Que Dieu préfère les imbéciles, c'est un bruit que les imbéciles font courir depuis dix-neuf siècles..."